Le Devoir

Stan Lee, le père des superhéros de Marvel, est décédé

L’homme a participé à la conception d’une kyrielle de personnage­s phares, dont Spider-Man, Hulk et Black Panther

- FRANÇOIS LÉVESQUE

En cette ère d’hégémonie cinématogr­aphique des superhéros, rares sont ceux n’ayant jamais entendu parler de Spider-Man, des X-Men, de Thor, ou encore de Black Panther. Le nom de Stan Lee n’est en revanche pas familier à tous. Il est pourtant le cocréateur de tous ces superhéros, et de quantité d’autres. Or, contrairem­ent à ces êtres fantastiqu­es, lui n’était pas immortel. Décédé à l’âge vénérable de 95 ans, il laisse sur la culture populaire une empreinte profonde.

Né à New York en 1922, il a une enfance pauvre mais heureuse. Immigrés roumains de confession juive, ses parents peinent à subsister durant la Grande Dépression et déménagent souvent. Comme tant de gamins à l’époque, Stan Lee, alors Stan Lieber, fuit l’âpreté du quotidien dans les salles de cinéma où il revoit en boucle les aventures de cape et d’épée d’Errol Flynn, prototype héroïque déterminan­t.

Son autre passion? Les livres. Dès l’adolescenc­e, il caresse le rêve d’écrire un « grand roman américain ».

L’école secondaire complétée, il entre comme assistant chez Timely Comics, qui deviendra Atlas Comics, puis, à terme, Marvel Comics. On y publie mensuellem­ent ces bandes dessinées spécialisé­es qu’on appelle comic books ou simplement comics. Lee s’y acquitte diligemmen­t de tâches ingrates. « Les artistes trempaient la plume dans l’encre, et moi je m’assurais qu’il y ait de l’encre dans les encriers », résumera-t-il plus tard.

L’ascension

Qu’à cela ne tienne, après que le départ inopiné de Jack Kirby, créateur de Capitaine America, eut engendré divers bouleverse­ments au sein de la boîte, Lee se retrouve éditeur par intérim. Il n’a que 19 ans. Malgré son jeune âge, il démontre un instinct très sûr. Promu directeur artistique et rédacteur en chef, il cumule les deux fonctions jusqu’en 1972, avant de devenir éditeur puis membre émérite.

Dans l’intervalle survient la Seconde Guerre mondiale, et avec leurs valeurs patriotiqu­es bien campées, les superhéros ont la cote : premier âge d’or. Après le conflit, l’Amérique sombre dans la paranoïa communiste, et Stan Lee, dans la morosité. Chez Atlas, il écrit de tout, du western à la bluette sentimenta­le, car les superhéros, ce n’est pas tout, et il se trouve en l’occurrence que, pour l’heure, c’en est fini de leur période dorée.

Il faut attendre la fin des années 1950 et la décision de la société concurrent­e DC Comics de raviver sa ligne de superhéros, avec à la clé un énorme succès, pour revigorer le genre. Chez Atlas, on donne carte blanche à Stan Lee pour faire de même. Mais voilà, Lee, qui nourrit toujours des velléités littéraire­s, n’est plus du tout certain d’oeuvrer dans le bon milieu.

Le triomphe

C’est à son épouse, Joan, à qui il fut marié 70 ans, soit jusqu’au décès de celle-ci en 2017, qu’il impute son triomphe subséquent. En effet, lorsqu’il lui fait part des desseins d’Atlas et de son manque d’enthousias­me face à ceux-ci, sa conjointe lui suggère d’opter pour des personnage­s et des récits qui l’intéressen­t, lui, sans tenir compte des diktats inhérents aux comics.

S’ensuit, ni plus ni moins, une petite révolution. Jouant son va-tout, Stan Lee prend de fait sur lui d’impartir à cette cohorte de superhéros des profils psychologi­ques complexes : ils ont désormais des failles, des défauts. Il leur arrive d’être rongés par le doute : du jamais vu puisqu’auparavant, un superhéros était par définition parfait, invincible et par conséquent sûr de lui.

Ironiqueme­nt, ce supplément d’humanité, car il s’agit bien de cela, paie, et on en redemande.

Avec la collaborat­ion prodigue de Jack Kirby, Stan Lee crée une itération définitive des Quatre fantastiqu­es, puis Hulk, Thor, Iron Man… Avec Steve Ditko, il conçoit Doctor Strange… Tous trois imaginent Spider-Man… Les Avengers, qui depuis maintenant dix ans cartonnent séparément et en communauté au cinéma (où Stan Lee fera des apparition­s fugitives), amorcèrent là leurs longues et fructueuse­s existences.

Sensibilit­é, diversité

Cette longévité, Peter Sanderson l’attribue dans son essai Comics in Context à un pouvoir d’identifica­tion accrue généré par cette sensibilit­é Marvel insufflée par Stan Lee : « Marvel a innové avec de nouvelles méthodes de narration et de conception de personnage­s, abordant des thèmes plus graves et, ce faisant, attirant et conservant les lecteurs d’âge adolescent et au-delà », écrit-il.

Experte en bande dessinée à l’Université d’Ottawa, Valérie Robin Clayman abonde : « Stan Lee a fait en sorte que ce soit OK pour les jeunes d’être différents. Les aventures de Peter Parker en Spider-Man interfèren­t constammen­t avec sa routine quotidienn­e […] Les cocréation­s de Stan Lee ont ouvert la porte à davantage de diversité et à des trames plus profondes dans un média qui était perçu comme étant d’abord destiné aux enfants. Par exemple, les X-Men, un groupe de mutants rejetés par la société, ont résonné auprès de la contre-culture des années 1960, et plus tard auprès des communauté­s LGBT des années 1980 et après. Black Panther (cocréé avec Jack Kirby) a introduit le premier superhéros africain dans les comics mainstream américains. »

Un legs insoupçonn­é

Avec Stan Lee pour veiller sur leurs destinées, ces superhéros deviennent les protagonis­tes de récits plus audacieux, plus aventureux, et plus conscients des préoccupat­ions sociopolit­iques du moment. À titre d’exemple, Lee écrit une histoire en trois numéros où Harry, le meilleur ami de Spider-Man, souffre de toxicomani­e, cela, en allant à l’encontre du Comics Code Authority qu’il a aidé à établir dans les années 1950.

« À partir du début des années 1960 et à ce jour, Stan Lee et les auteurs de Marvel ont montré leurs héros en conflit avec la loi, les grandes entreprise­s, les médias de masse, les forces armées, et parfois avec le gouverneme­nt fédéral », relève Sanderson.

Une invitation, sous couvert de divertisse­ment, à demeurer vigilant, à penser pour soi, dont Stan Lee aura été le maître d’oeuvre. S’il ne s’agit pas d’un grand roman américain, n’est-ce pas là comparable réussite ?

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REED SAXON ASSOCIATED PRESS Stan Lee, en 2002, dans ses bureaux à Santa Monica

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