Le Devoir

Seuil officiel de pauvreté : une confusion à dénoncer

- Olivier Ducharme Marie-Josée Dupuis Observatoi­re de la pauvreté et des inégalités au Québec

Depuis peu, un consensus s’établit, autant au Canada qu’au Québec, pour instaurer un seuil officiel de pauvreté. De prime abord, plusieurs seront surpris d’apprendre qu’il n’y avait pas, avant ce jour, une mesure officielle de la pauvreté au Canada. Il existe certes des indicateur­s de faible revenu, mais aucun d’entre eux n’a eu la prétention de servir de seuil officiel de la pauvreté.

Le dépôt, par le gouverneme­nt fédéral, du projet de loi C-87 (Loi sur la réduction de la pauvreté) vient entériner les annonces qui ont été faites, un peu plus tôt cette année, dans la Stratégie canadienne de réduction de la pauvreté. Le projet de loi officialis­e la création d’un seuil officiel de pauvreté à la hauteur de la Mesure du panier de consommati­on (MPC). Il met également en place des cibles de réduction de la pauvreté (réduire, d’ici 2030, de moitié le taux de personnes en situation de pauvreté au Canada) et forme un Conseil consultati­f national de la pauvreté.

On peut se réjouir de la décision du gouverneme­nt fédéral qui, pour la première fois, instaure un seuil officiel de pauvreté. Toutefois, le choix de l’indicateur pose problème. La MPC mesure le coût minimal que doit débourser une personne ou une famille pour couvrir ses besoins de base (nourriture, habillemen­t, logement, transport, autres biens et services). Ce montant s’élève en moyenne à 18 000 $ pour une personne seule et à 36 000 $ pour une famille de quatre. Une personne ou une famille qui ne parvient qu’à satisfaire ses besoins de base vit nécessaire­ment de manière précaire. Son budget se limite à l’essentiel, chaque dépense imprévue ou perte de revenu, aussi minime soit-elle, a un impact considérab­le sur sa qualité de vie.

Là où le gouverneme­nt fait fausse route, c’est lorsqu’il confond la couverture des besoins de base et la sortie de la pauvreté. Avoir tout juste ce qu’il faut pour se procurer l’essentiel ne revient pas à sortir de la pauvreté ni même d’un niveau de vie précaire. Un exemple nous en convaincra. Selon le calcul de la MPC effectué par Statistiqu­e Canada, une personne seule vivant à Québec devrait se loger avec 350 $ par mois. Le loyer inclut les frais de chauffage, d’électricit­é « et des commodités suivantes : un réfrigérat­eur, une cuisinière et l’usage d’une laveuse et d’une sécheuse ». Ce montant est loin du prix moyen d’un studio locatif dans la région de Québec qui était, pour l’année 2017, de 549 $ par mois, selon la Société canadienne d’hypothèque­s et de logement.

Pour sortir de la pauvreté, une personne ou une famille doit vivre au-delà du strict minimum. Elle doit être capable d’épargner pour faire face aux imprévus et avoir accès à des loisirs sans être obligée de supprimer des dépenses essentiell­es. Comme le souligne le gouverneme­nt du Québec dans sa Loi visant à lut- ter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, elle doit avoir les ressources, les moyens, les choix et le pouvoir nécessaire­s pour acquérir et maintenir son autonomie économique.

Conséquenc­es

La décision de choisir le seuil le plus bas en usage a certaineme­nt des conséquenc­es sur la manière dont le gouverneme­nt traite de pauvreté. Cette mesure porte le gouverneme­nt à sous-évaluer le nombre de personnes en situation de pauvreté, ce qui pourrait l’amener à réduire le nombre de personnes à qui il consent une aide financière.

L’adoption du seuil officiel de pauvreté touche également ceux et celles dont le revenu disponible se situe tout juste au-dessus du seuil de pauvreté qui a été retenu, en particulie­r les personnes au salaire minimum et les personnes âgées prestatair­es du supplément de revenu garanti. Au Québec en 2018, le revenu disponible des premières est de 19 755 $ (à 35 heures par semaine) ; et celui des secondes, de 19 256 $.

Avec un revenu à peine suffisant pour couvrir leurs besoins de base, ces personnes peuvent difficilem­ent se considérer comme sorties de la pauvreté. Elles vivent encore l’incertitud­e et l’instabilit­é qui lui sont propres. Mettre le seuil à un niveau minimal pourrait amener le gouverneme­nt à réduire, voire à annuler toute aide financière à ces personnes, puisqu’elles se retrouvent hors du champ d’applicatio­n des mesures de lutte contre la pauvreté.

Il est fort possible que le gouverneme­nt fédéral réussisse à atteindre son objectif de réduire de moitié, d’ici 2030, le nombre de personnes en situation de pauvreté au Canada. Une question se pose cependant : va-t-il réellement améliorer leurs conditions de vie et leur permettre, une fois pour toutes, de sortir de la pauvreté? Avec un seuil qui ne couvre que les besoins de base, il est à prévoir que plusieurs personnes considérée­s comme ne vivant plus en situation de pauvreté le seront toujours.

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