Le Devoir

Gouverner par t weets

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Le président Trump utilise son compte Twitter pour partager ses états d’âme et même pour communique­r les décisions de son gouverneme­nt. Même si tous les dirigeants n’en font pas un usage intensif, le microbloga­ge caractéris­tique de Twitter fait désormais partie des vecteurs de communicat­ion à la dispositio­n des gouvernant­s. Le recours à ce moyen pour communique­r des décisions gouverneme­ntales témoigne d’une mutation dans la façon d’interagir avec les citoyens.

Ce n’est pas d’hier que les dirigeants autoritair­es tentent de s’assurer d’un environnem­ent médiatique docile. Si le président Trump atteint des sommets dans son mépris du travail des médias et des journalist­es, l’histoire nous apprend que plusieurs autres dirigeants n’ont pas hésité à s’en prendre aux journalist­es. Au Québec, le premier ministre Duplessis avait exigé l’expulsion d’un journalist­e de ses conférence­s de presse. Jean Drapeau, qui fut maire de Montréal de 1960 à 1986, qualifiait d’adversaire politique un journalist­e critique de ses politiques et a passé des années à éviter de parler aux médias, préférant diffuser des communiqué­s. S’il avait gouverné à notre époque, il aurait peut-être été un grand utilisateu­r de Twitter.

De nos jours, une applicatio­n comme Twitter procure aux gens de pouvoir une faculté de s’adresser directemen­t à ceux qu’ils souhaitent rejoindre. L’usage de Twitter par les gouvernant­s leur permet de court-circuiter les processus classiques de médiation entre les décideurs politiques et le public. La conférence de presse n’est plus le mode privilégié d’interactio­n entre les gouvernant­s et les gouvernés. Les dirigeants politiques peuvent rejoindre instantané­ment le grand public au moyen de brefs messages. Une façon postmodern­e d’éviter de répondre aux questions en provenance de journalist­es qui connaissen­t les sujets.

L’environnem­ent offert par Twitter fonctionne à la manière d’une agora dans laquelle chacun a la possibilit­é de relayer et de commenter les messages transmis ou d’y répondre. Le format imposé par la plateforme fait en sorte que seuls de courts messages peuvent être transmis. Lorsqu’on dispose d’un compte Twitter, on peut « suivre » tout citoyen ou être suivi par lui. Il demeure possible sur Twitter de relayer les messages en y insérant des commentair­es ou des réponses. Il est aussi possible de bloquer des gens lorsqu’on estime qu’ils ne sont pas fréquentab­les… même virtuellem­ent. La tentation peut être forte chez certains politicien­s de bloquer ceux qui expriment des vues qu’ils réprouvent au sujet de leurs politiques.

Quel statut ?

Les tribunaux américains ont été amenés à examiner le rôle joué par Twitter dans les stratégies de communicat­ion du locataire actuel de la Maison-Blanche. Un groupe d’universita­ires voué à la défense de la liberté d’expression a contesté la décision du président de bloquer l’accès de sept usagers à son compte Twitter. Dans une décision rendue dans l’État de New York, un juge a considéré que le compte Twitter du président Trump est un forum public. Le tribunal a retenu qu’il était effectivem­ent utilisé afin de communique­r des décisions gouverneme­ntales ou des déclaratio­ns faites dans le cadre de l’exercice de fonctions présidenti­elles. Le président ne peut exclure ceux qui choisissen­t de le suivre ou de s’exprimer sur son compte.

Cette décision a été analysée par le professeur Louis-Philippe Lampron, de l’Université Laval. Il note que le choix de recourir à ces plateforme­s qui permettent des échanges entre les utilisateu­rs s’accompagne de certaines responsabi­lités. Les autorités publiques doivent gérer leurs comptes publics en respectant le droit fondamenta­l de tout citoyen de critiquer les institutio­ns et leurs représenta­nts. Elles ne peuvent discrimine­r les personnes qui souhaitent suivre un compte en fonction des points de vue qu’elles expriment. Le professeur Lampron estime que l’analyse du tribunal américain est applicable au Canada.

Espaces publics et espaces privés

Twitter brouille les frontières entre sphères publiques et privées. Si le compte est utilisé dans l’une et l’autre, il pourra être envisagé comme une tribune publique ou comme une extension de la vie privée de l’individu.

Certains font valoir que les dirigeants politiques continuent d’avoir droit à leur vie privée même lorsqu’ils exercent des responsabi­lités politiques. Comme certaines situations sur Internet sont publiques mais peuvent s’entremêler avec des éléments relevant de la vie privée, il faut endurer une certaine confusion entre ce qui relève de la vie privée des dirigeants et ce qui appartient à leur vie publique. Lorsqu’un dirigeant choisit d’utiliser Twitter pour communique­r avec la population, il doit supporter de recevoir les réponses critiques que ses faits et gestes peuvent inspirer à certains.

En fin de compte, gouverner par tweets comporte son lot d’inconvénie­nts.

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