Fils prodigue
La première incursion de Claude Poissant chez Michel Tremblay est fort réussie
Si les pièces écrites par Michel Tremblay dans les années 1970 résonnent encore à ce point dans le Québec des années 2010, c’est certainement parce que la quête de liberté, d’amour et d’identité qu’elles décrivent n’a pas pris une ride. Si leurs vêtements et leurs coiffures sont d’un temps révolu, si leur diction et leurs expressions appartiennent à une autre époque, les rêves d’indépendance individuelle et collective des personnages de Bonjour, là, bonjour, 44 ans plus tard, n’ont rien perdu de leur pertinence.
Au centre du tableau, au coeur de l’octuor, il y a Serge, l’enfant prodigue de retour dans sa patrie après trois mois en Europe. C’est le cadet de la famille, mais aussi le premier à traverser l’Atlantique. Profondément influencée par la musique, éminemment chorale, la pièce se déroule pour ainsi dire dans l’esprit de Serge, une scène où s’invitent allègrement ses proches, la plupart du temps pour l’invectiver, ou alors pour obtenir quelque chose de lui.
Incarné avec une admirable intériorité par Francis Ducharme, le jeune héros apparaît d’abord chez son père, Armand (Gilles Renaud), un homme abîmé par la vie, rendu sourd par le travail, qui habite avec ses soeurs aigries, Charlotte (Annette Garant) et Gilberte (Diane Lavallée).
On découvre ensuite les soeurs de Serge: Lucienne (Sandrine Bisson), mal mariée à un riche anglophone, Monique (Mireille Brullemans), délaissée et on ne peut plus dépressive, Denise (Geneviève Schmidt), qui peut toujours compter sur la nourriture, et finalement Nicole (Mylène Mackay), la plus jeune, celle avec qui le héros entretient depuis sa tendre enfance un rapport amoureux.
Dans ce grand tabou, celui de l’inceste, qui occupe une place fondamentale dans l’oeuvre de Tremblay, se cristallise tout le tragique de la pièce. La relation de Serge et Nicole est une métaphore, vous l’aurez compris, celle de toutes les amours interdites, de toutes les différences qui ébranlent les colonnes du temple.
La mise en scène de Claude Poissant, sa première incursion dans l’univers de Tremblay, est limpide. Dans une pièce unique, trouée de portes, à n’en pas douter le théâtre de sa conscience, Serge règle des comptes avec les siens, avec leur amour étouffant. Sur les murs sont projetés les dorures de Versailles, ou peut-être est-ce l’opulence kitsch du salon d’une « belle maison de soixante mille piasses à Cartierville ».
Quand la vérité surgit, le plateau s’éclaire, puis se décloisonne. Un tableau dansé entre les amants lumineux nous prend à la gorge. La dernière scène entre le père et le fils est poignante. L’intime est juste assez politique. Difficile de demander mieux.