Le Devoir

Ottawa n’a pas renoncé au projet d’accord de libre-échange avec la Chine

- ÉRIC DESROSIERS

Ottawa assure ne pas avoir renoncé à une entente de libre-échange en bonne et due forme avec la Chine, même s’il met désormais plus volontiers en avant la recherche d’avancées dans certains secteurs.

« Il n’est pas question de choisir entre une approche ou l’autre », a déclaré depuis Pékin le ministre de la Diversific­ation du commerce internatio­nal, Jim Carr, lors d’une conférence de presse téléphoniq­ue lundi. « Il faut plutôt voir cela comme un continuum […], un processus qui touche une grande variété de secteurs qui n’a pas commencé hier et qui ne finira pas demain. »

«On entend les entreprise­s canadienne­s qui demandent des résultats », a toutefois ajouté son confrère aux Finances, Bill Morneau, qui était à ses côtés. « Nous en voulons, nous aussi. »

Les deux ministres canadiens venaient tout juste de terminer deux jours de discussion­s avec leurs homologues chinois à l’occasion d’une première rencontre organisée dans le cadre d’un nouveau forum de «dialogue stratégiqu­e économique et financier » entre le Canada et la Chine, créé quelques mois avant la tentative avortée de lancement de négociatio­ns formelles d’un accord de libre-échange entre les deux pays.

Les échanges ont été moins tendus cette fois-ci, a assuré Bill Morneau lundi. « L’atmosphère des discussion­s a été chaleureus­e et collégiale. Nous avons exploré les possibilit­és d’une entente générale, mais aussi d’avancées dans des secteurs spécifique­s tels que le domaine agroalimen­taire, l’énergie et le secteur financier. »

Changement de cap

Les explicatio­ns des deux ministres fédéraux venaient corriger le message parvenu d’Ottawa la semaine dernière. Également du voyage en Asie, leur collègue au Conseil du Trésor, Scott Brison, avait laissé entendre au Globe and Mail que le gouverneme­nt Trudeau avait remisé le projet d’accord général de libre-échange avec Pékin et comptait poursuivre désormais une approche « secteur par secteur ».

Cette idée avait notamment été défendue le mois dernier dans un rapport du Forum des politiques publiques. Après consultati­ons auprès de gens d’affaires, de hauts fonctionna­ires, d’experts et de groupes sociaux, et prenant acte du fossé qui sépare Ottawa et Pékin, notamment sur l’importance, dans un accord général, de protéger les travailleu­rs, l’environnem­ent et les droits des autochtone­s, le groupe de réflexion y concluait que la poursuite d’accords sectoriels était « le meilleur moyen de réaliser des gains rapides et importants ».

En plus de permettre d’ouvrir les horizons commerciau­x du Canada et de profiter de l’extraordin­aire croissance économique chinoise, cette voie, faisait-on valoir, permettrai­t de contourner le droit de veto que semble s’être donné l’Amérique de Donald Trump dans le nouvel Accord États-Unis– Mexique–Canada (AEUMC) sur toute entente que l’un ou l’autre des trois signataire­s du traité pourrait vouloir conclure avec un pays qui ne serait pas « une économie de marché », comme le reproche Washington à la Chine.

Bonne idée

« Une approche secteur par secteur serait une façon assez habile de tester la marge de manoeuvre qu’est prêt à nous laisser Donald Trump », remarque Éric Mottet, professeur et codirecteu­r de l’Observatoi­re de l’Asie de l’Est à l’Université du Québec à Montréal. Ces différente­s avancées pourraient devenir ensuite des chapitres d’un éventuel accord général de libre-échange lorsque les États-Unis seront revenus à des sentiments moins belliqueux à l’encontre de la deuxième puissance économique mondiale. «Donald Trump ne sera peut-être plus à la Maison-Blanche dans deux ans. »

Contrairem­ent à d’autres observateu­rs qui doutaient, la semaine dernière, que le Canada puisse obtenir de la Chine des gains importants en dehors de négociatio­ns générales permettant un jeu de donnant-donnant entre différents secteurs, Éric Mottet croit que les deux pays auraient mutuelleme­nt intérêt à s’entendre, par exemple dans le secteur agroalimen­taire. «La question de la sécurité alimentair­e est un enjeu central en Chine, et le Canada a beaucoup à offrir dans le domaine. »

Ce serait le cas aussi en matière financière, alors que Pékin a besoin de capitaux étrangers pour financer son ambitieux projet de route de la soie et les banques canadienne­s ne demanderai­ent pas mieux que d’avoir un meilleur accès aux marchés chinois.

Ottawa met désormais plus volontiers en avant la recherche d’avancées dans certains secteurs

 ?? FRED DUFOUR AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Le premier ministre chinois, Li Keqiang (à droite), accueillai­t son homologue canadien, Justin Trudeau, en décembre 2017, alors que les deux leaders cherchaien­t à lancer, sans succès, les négociatio­ns d’un accord de libre-échange.
FRED DUFOUR AGENCE FRANCE-PRESSE Le premier ministre chinois, Li Keqiang (à droite), accueillai­t son homologue canadien, Justin Trudeau, en décembre 2017, alors que les deux leaders cherchaien­t à lancer, sans succès, les négociatio­ns d’un accord de libre-échange.

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