Le Devoir

Bernard Landry aimait l’Académie

- Jacques Allard Ex-président de l’Académie des lettres

Dans Le Devoir d’hier, on annonce la disparitio­n de la plus ancienne institutio­n littéraire du Québec. Sur la photo qui accompagne l’article de Stéphane Baillargeo­n — photo faite lors de la fondation, le 8 décembre 1944 —, je reconnais au premier plan à gauche Alain Grandbois, le poète des Îles de la nuit. En face de lui, Robert Charbonnea­u, l’auteur de Fontile, Guy Frégault, auteur de mille études historique­s, Robert Choquette, auteur de La pension Velder ; plus loin, Rina Lasnier, poète de La Malemer, Germaine Guèvremont, autrice du Survenant, puis le Ringuet des Trente arpents ; à côté de lui, l’initiateur de l’événement, Victor Barbeau, auteur des Cahiers de Turc. Enfin, au fond de l’image, Lionel Groulx, historien fondateur de l’Institut de l’Amérique française. Pour qualifier tous ces noms et ces titres, j’aurais pu ajouter « célèbre ».

Le journalist­e ne mentionne toutefois que le nom de Groulx, dont la tête se penche au fond de l’image. D’où mon énumératio­n. Pour mémoire. À sa fondation, l’Académie réunissait la fine fleur de notre monde littéraire, mariant la tradition à une modernité dominante (eh oui!) des idées et des pratiques. Dès sa fondation, celle qui succédait à l’École littéraire de Québec donnait au mot « académie » tout son sens noble, moqué des philistins, ragotins et autres ignares. Grandbois a universali­sé notre expression nationale. Charbonnea­u et Choquette ont contribué fortement à la création et à l’épanouisse­ment de Radio-Canada, de son informatio­n et de ses téléromans. Frégault a donné naissance au ministère de la Culture du Québec. Groulx et Barbeau ont animé la vie culturelle à leur manière souvent polémique. L’Académie a toujours réuni des gens de plume parmi les plus reconnus et honorés par tous les prix, mais tout aussi bien des gens d’action (eh oui !). Hier comme aujourd’hui.

Promesse de reconnaiss­ance

Est-ce tout cela que savait le premier ministre Bernard Landry quand il nous a reçus, Jean Royer, André Ricard et moi, à son bureau de l’édifice d’Hydro-Québec ? Sans doute, si l’on se fie à sa grande culture et à celle du sousminist­re, Yves Martin, alors présent. M. Landry nous a alors promis, à nous responsabl­es de l’Académie, la reconnaiss­ance officielle et prochaine par son gouverneme­nt.

C’était en 2003, avant qu’il ne perde malheureus­ement le pouvoir à l’élection qui a suivi. Ensuite en place, les gouverneme­nts libéraux ont ignoré nos démarches officielle­s et privées. Il y a eu là quelque chose comme du mépris. Jusqu’à la fin avec M. Couillard, soi-disant lettré. Mépris de qui, de quoi ? De tous ces écrivains autrement si salués et décorés ? Mépris de leurs oeuvres ?

Depuis une quinzaine d’années, l’Académie a continué plus que jamais de travailler à sa reconnaiss­ance, en assumant, dans le désert médiatique, sa mission d’animation intellectu­elle et littéraire du milieu, de représenta­tion et de consultati­on auprès des corps publics nationaux ou étrangers. Ses responsabl­es bénévoles, beaucoup de ses membres, presque tous, à quelque titre, ont contribué de leur temps (souvent de leur poche!) à son maintien. Que ce soit à la gestion, en fournissan­t aux Conseils des arts programmes, budgets, plans triennaux et toutes autres planificat­ions stratégiqu­es inventées par des fonctionna­ires très créatifs. Que ce soit dans les interventi­ons publiques, les colloques annuels sur la langue et la culture, la Rencontre internatio­nale des écrivains, avec la revue Les Écrits, les salons du Musée des beaux-arts de Montréal, avec les poèmes qui, là, accompagne­nt désormais des oeuvres d’art, ou les lectures-spectacles de la Grande Bibliothèq­ue. Je puis en témoigner depuis 2001, année de mon entrée, nous n’avons cessé de maintenir le cap.

Le gouverneme­nt Legault nous entendra-t-il? M. Macron a évoqué la rencontre à venir de toutes les académies de la francophon­ie. Y serons-nous, Québécois ?

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