Le Devoir

Doug Ford sacrifie les francophon­es

Le gouverneme­nt profite de son énoncé économique pour mettre un terme au projet d’université et abolir le Commissari­at aux services en français

- GUILLAUME BOURGAULT-CÔTÉ

Il n’y aura finalement pas d’Université de l’Ontario français… et il n’y aura tout simplement plus de Commissari­at aux services en français. Le gouverneme­nt de Doug Ford a profité de son énoncé économique d’automne pour infliger deux camouflets inattendus aux Franco-Ontariens, mardi.

Choquée, la communauté a réagi vivement. Pour l’Assemblée de la francophon­ie de l’Ontario (AFO), ces décisions « inacceptab­les » auront un « impact négatif sur la communauté franco-ontarienne », a indiqué le président Carol Jolin.

Les francophon­es se trouvent selon lui à faire des « efforts démesurés » dans la lutte pour le retour à l’équilibre budgétaire, et cela « nuira à la survie et à l’épanouisse­ment » de la communauté. « Nous avons des craintes légitimes que le respect de la Loi sur les services en français devienne de moins en moins important pour le gouverneme­nt. »

Et encore : il s’agit d’un « jour noir » et d’une «gifle», a exprimé le président de la Fédération des communauté­s francophon­es et acadienne (FCFA) du Canada, Jean Johnson. « Un recul important» pour la communauté, a ajouté le commissair­e fédéral aux langues officielle­s, Raymond Théberge, « extrêmemen­t déçu » des décisions du gouverneme­nt Ford.

Les deux nouvelles ont pris tout le monde par surprise… le commissair­e aux services en français le premier. « Nous l’avons appris une demi-heure avant », a confié François Boileau au Devoir.

« C’est une perte nette pour la communauté franco-ontarienne, estime M. Boileau. L’abandon du projet d’université fait très, très mal. Mais avec le commissari­at, on perd une voix indépendan­te qui avait un oeil sur les enjeux d’une population en croissance [620 000 personnes], notamment grâce à l’immigratio­n. »

Le rôle du commissair­e n’était pas que celui d’un chien de garde, note ainsi François Boileau. « C’était d’être un médiateur [auprès du gouverneme­nt] pour s’assurer que les programmes étaient adaptés pour la communauté.» En saluant le travail du commissari­at, Raymond Théberge a soutenu que « l’Ontario vient de perdre une voix importante en matière de respect des droits linguistiq­ues ».

Le gouverneme­nt ontarien a précisé jeudi que ce sera dorénavant à l’ombudsman de remplir les fonctions du commissair­e aux services en français (en plus de celles qu’il a déjà).

Pas d’université

La décision d’abolir le commissari­at s’ajoute à celle, annoncée en juin, de faire disparaîtr­e le nouveau ministère des Affaires francophon­es. Mais elle se double aussi de la mise à mort du projet de créer une université francophon­e, qui avait pourtant été officialis­é il y a un an par le gouverneme­nt de Kathleen Wynne.

Souhaitée depuis des décennies par les francophon­es ontariens, l’Université de l’Ontario français devait ouvrir ses portes en 2020. Queen’s Park s’était engagé à offrir un financemen­t initial de 20 millions. « Un examen plus détaillé de la situation financière de la province a amené le gouverneme­nt à annuler les plans de création » de cette université, mentionne simplement la mise à jour économique.

Quel message ?

Pour le gouverneme­nt Ford, les économies liées à ces décisions s’annoncent pourtant marginales: le budget du Commissari­at aux services en français était de moins de trois millions.

« Quand on parle de 3 millions sur un déficit de 15 milliards, c’est une goutte d’eau dans l’océan», note Stéphanie Chouinard, professeur­e de sciences politiques au Collège militaire royal qui s’intéresse aux questions linguistiq­ues. « C’est difficile d’expliquer la décision dans ce contexte, dit-elle. Il faut probableme­nt comprendre que pour ce gouverneme­nt, les services aux francophon­es et la défense des droits de ceux-ci représente­nt du gaspillage. »

La députée libérale et ancienne ministre des Affaires francophon­es MarieFranc­e Lalonde y voit certaineme­nt une «attaque envers les francophon­es de l’Ontario». «Ils s’en crissent ben, de nous autres », a dit moins poliment le député néodémocra­te Gilles Bisson, en entrevue à Radio-Canada.

Plusieurs Franco-Ontariens associaien­t d’ailleurs jeudi le geste du gouverneme­nt Ford à celui du gouverneme­nt Harris pour fermer l’hôpital francophon­e Montfort (en 1997). Voire au fameux règlement 17 adopté par le gouverneme­nt en 1912 pour empêcher l’enseigneme­nt du français…

 ?? NATHAN DENETTE LA PRESSE CANADIENNE ?? Le gouverneme­nt Ford avait déjà aboli le ministère des Affaires francophon­es, voilà qu’il abolit le Commissari­at aux services en français et qu’il jette au panier le projet d’université destiné à la minorité linguistiq­ue de cette province. On voit ici le premier ministre Doug Ford en compagnie de son ministre des Finances, Vic Fedeli.
NATHAN DENETTE LA PRESSE CANADIENNE Le gouverneme­nt Ford avait déjà aboli le ministère des Affaires francophon­es, voilà qu’il abolit le Commissari­at aux services en français et qu’il jette au panier le projet d’université destiné à la minorité linguistiq­ue de cette province. On voit ici le premier ministre Doug Ford en compagnie de son ministre des Finances, Vic Fedeli.

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