Doug Ford sacrifie les francophones
Le gouvernement profite de son énoncé économique pour mettre un terme au projet d’université et abolir le Commissariat aux services en français
Il n’y aura finalement pas d’Université de l’Ontario français… et il n’y aura tout simplement plus de Commissariat aux services en français. Le gouvernement de Doug Ford a profité de son énoncé économique d’automne pour infliger deux camouflets inattendus aux Franco-Ontariens, mardi.
Choquée, la communauté a réagi vivement. Pour l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO), ces décisions « inacceptables » auront un « impact négatif sur la communauté franco-ontarienne », a indiqué le président Carol Jolin.
Les francophones se trouvent selon lui à faire des « efforts démesurés » dans la lutte pour le retour à l’équilibre budgétaire, et cela « nuira à la survie et à l’épanouissement » de la communauté. « Nous avons des craintes légitimes que le respect de la Loi sur les services en français devienne de moins en moins important pour le gouvernement. »
Et encore : il s’agit d’un « jour noir » et d’une «gifle», a exprimé le président de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, Jean Johnson. « Un recul important» pour la communauté, a ajouté le commissaire fédéral aux langues officielles, Raymond Théberge, « extrêmement déçu » des décisions du gouvernement Ford.
Les deux nouvelles ont pris tout le monde par surprise… le commissaire aux services en français le premier. « Nous l’avons appris une demi-heure avant », a confié François Boileau au Devoir.
« C’est une perte nette pour la communauté franco-ontarienne, estime M. Boileau. L’abandon du projet d’université fait très, très mal. Mais avec le commissariat, on perd une voix indépendante qui avait un oeil sur les enjeux d’une population en croissance [620 000 personnes], notamment grâce à l’immigration. »
Le rôle du commissaire n’était pas que celui d’un chien de garde, note ainsi François Boileau. « C’était d’être un médiateur [auprès du gouvernement] pour s’assurer que les programmes étaient adaptés pour la communauté.» En saluant le travail du commissariat, Raymond Théberge a soutenu que « l’Ontario vient de perdre une voix importante en matière de respect des droits linguistiques ».
Le gouvernement ontarien a précisé jeudi que ce sera dorénavant à l’ombudsman de remplir les fonctions du commissaire aux services en français (en plus de celles qu’il a déjà).
Pas d’université
La décision d’abolir le commissariat s’ajoute à celle, annoncée en juin, de faire disparaître le nouveau ministère des Affaires francophones. Mais elle se double aussi de la mise à mort du projet de créer une université francophone, qui avait pourtant été officialisé il y a un an par le gouvernement de Kathleen Wynne.
Souhaitée depuis des décennies par les francophones ontariens, l’Université de l’Ontario français devait ouvrir ses portes en 2020. Queen’s Park s’était engagé à offrir un financement initial de 20 millions. « Un examen plus détaillé de la situation financière de la province a amené le gouvernement à annuler les plans de création » de cette université, mentionne simplement la mise à jour économique.
Quel message ?
Pour le gouvernement Ford, les économies liées à ces décisions s’annoncent pourtant marginales: le budget du Commissariat aux services en français était de moins de trois millions.
« Quand on parle de 3 millions sur un déficit de 15 milliards, c’est une goutte d’eau dans l’océan», note Stéphanie Chouinard, professeure de sciences politiques au Collège militaire royal qui s’intéresse aux questions linguistiques. « C’est difficile d’expliquer la décision dans ce contexte, dit-elle. Il faut probablement comprendre que pour ce gouvernement, les services aux francophones et la défense des droits de ceux-ci représentent du gaspillage. »
La députée libérale et ancienne ministre des Affaires francophones MarieFrance Lalonde y voit certainement une «attaque envers les francophones de l’Ontario». «Ils s’en crissent ben, de nous autres », a dit moins poliment le député néodémocrate Gilles Bisson, en entrevue à Radio-Canada.
Plusieurs Franco-Ontariens associaient d’ailleurs jeudi le geste du gouvernement Ford à celui du gouvernement Harris pour fermer l’hôpital francophone Montfort (en 1997). Voire au fameux règlement 17 adopté par le gouvernement en 1912 pour empêcher l’enseignement du français…