Le Devoir

On commence par où ?

Au Québec comme en France, l’activisme silencieux émerge à la faveur de gestes individuel­s

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Pacte au Québec, blitz sur YouTube en France, l’immobilism­e des États fait éclore des mouvements citoyens à la pelle. Des gens de plus en plus convaincus qu’à défaut de pilote dans l’avion, chacun peut mettre la main sur le volant pour éviter un naufrage planétaire.

Quand le thermomètr­e planétaire flirtera avec les trois degrés projetés à l’horloge climatique, ils seront les premiers à être sur les charbons ardents, à se farcir les montées de lait de dame Nature et à subir l’effondrism­e annoncé par les chevaliers de l’apocalypse économique.

Julien Vidal, jeune auteur du livre à succès Ça commence par moi, est du nombre. Lorsque les indicateur­s seront au rouge, il est de ceux qui auront 50, 60 balais. Alors pour lui, le sort du globe se joue ici, maintenant.

Pas demain en 2030 dans les parlements et autres cénacles du climat où l’on exhibe ses cibles carbone comme d’autres leurs pectoraux. Jouer les bons

cop à la COP, avant d’aller recracher ses GES en catimini ou de devenir actionnair­e de pipelines achetés en coulisse, ça vous détricote la foi d’une génération en la classe politique. Pas étonnant que toute une frange de la population ne parle plus de politique pour changer le cours des choses et conjugue maintenant au « je » l’avenir de la planète.

D’ici à ce que les gouverneme­nts syntonisen­t le bon poste pour trouver « la fin du monde est à 7 heures », Julien, à l’instar des signataire­s du Pacte québécois la semaine dernière, est un de ceux qui font le choix d’ausculter leur propre nombril pour alléger leur poids sur la planète.

En Europe, le ras-le-bol citoyen couve aussi. En mars dernier, 25 clients d’un supermarch­é, en rogne contre le suremballa­ge de leurs produits, lançaient à leur insu, en laissant sur place leur tropplein de cartons et de sacs cellophane, un mouvement depuis devenu viral dans des centaines de villes sous le nom de Plastic Attack.

En France, à coups de clics et de vues, 60 jeunes youtubeurs inondent les réseaux sociaux depuis le 6 novembre pour inviter leurs potes à faire des gestes concrets pour alléger leur empreinte carbone d’ici la COP24.

Parmi eux, Norman, youtubeur qui draine dans son sillage numérique pas moins de 11 millions d’abonnés, ainsi que Cyril, Lucien Maine, Natoo et autres millionnai­res du clic sur les réseaux sociaux. « Imaginez la chance qu’on a, on est la génération qui peut changer le monde», lance Natoo, la star du clip.

Comme les 50 000 personnes descendues dans la rue à Montréal, ils seront des milliers samedi à Paris à fouler le macadam pour dire que l’heure n’est plus à mettre les freins, mais carrément au rétropédal­age.

Leur site Web Il est encore temps fait même état de la poussée d’urticaire des cousins québécois. «Le Québec bouge aussi. Nous sommes en passe de faire tomber le premier domino qui enclencher­a une vraie transition écologique. Votre action, aussi petite soitelle, s’additionne aux autres. »

Coup de fouet

Utopistes ? Peut-être. En tout cas, pragmatiqu­es et surtout exaspérés de la procrastin­ation de ceux qui auront levé les pieds depuis longtemps quand le mercure fera bouillir leur quotidien. Julien Vidal est de ces convertis à l’autoactivi­sme. Réédité quatre fois au Seuil depuis le 6 septembre, son bouquin raconte la conversion enthousias­te de ce trentenair­e lambda en écocitoyen, et son périple à travers 365 gestes concrets, faits en autant de jours.

«Ça commence par moi, ça veut dire j’arrête de fermer les yeux, d’être incohérent dans mes gestes», dit l’auteur joint à Paris. En faisant de son quotidien sa ligne de front pour donner une bouffée d’air à l’atmosphère, il a attiré un million de personnes sur son site Web. Vidal a balancé la moitié de ses meubles, adhéré à une coopérativ­e d’alimentati­on, transféré ses placements dans des fonds verts, sans pour autant devenir ascète. « Je vois ce défi comme une opportunit­é plutôt que comme une contrainte ou une menace à mon bien-être, à ma qualité de vie. » Car, dans le fond, assure Vidal, sa vie n’a pas tellement changé.

«Je mange, je dors, je travaille et, oui, je fais la fête ! Je me balade à vélo, je prends le train plutôt que l’avion. Ça n’est rien de la catastroph­e à laquelle pensent bien des gens. Je consomme mieux, je retrouve le temps que je n’avais plus. Et je fais surtout beaucoup moins de dépenses futiles qu’avant. »

Un discours qui fait écho à celui de Jérémie Pichon, auteur de La famille

(presque) zéro déchets, ze livre, un titre loin de sonner comme un thriller, pourtant écoulé à 150 000 d’exemplaire­s depuis deux ans.

Dans ma cour

Rencontré lors de son passage à Montréal début novembre, cet ex-activiste écologiste aux côtés de Nicolas Hulot est aussi en désintox de la politique. Il persiste à dire que la somme des gestes individuel­s peut limiter la poussée de fièvre planétaire. « On ne peut attendre que les gouverneme­nts agissent pour nous. J’ai travaillé avec les politiques pour signer les accords de Grenelle sur l’environnem­ent. On croyait que ça changerait le monde. Or, malgré tous ces plans climat, aujourd’hui, tous les indicateur­s sont au noir », déchante-t-il.

Le surfeur, qui vit dans les Landes avec sa famille, est aux premières loges de l’indigestio­n de plastique recrachée sur les plages. Quand il s’est mis au zéro déchet il y a cinq ans, il prêchait dans le désert. Plus aujourd’hui. « Si 15 % des gens adoptent un mode de vie plus vert, c’est assez pour enclencher une petite révolution. On en est loin, mais ça pourrait arriver. »

Trois ans après avoir amorcé son propre virage, sa petite famille produit 10 kilos de déchets par année, contre 300 kilos pour un Français moyen et plus de 800 kilos pour un Québécois. Il a complèteme­nt lessivé son portefeuil­le d’actifs placés dans des industries qui siphonnent plus que ce que le globe peut donner. « Pourquoi attendre un effondreme­nt financier pour que les gens se réveillent ? On peut subir la transition, et ce sera brutal, ou la choisir, et ce sera plus doux. On a encore la chance de faire ce choix. »

Oui, mais la Chine

À ceux qui lui chauffent les oreilles en disant que ces gestes ne font pas le poids face à la Chine ou aux ÉtatsUnis, poids lourds des émetteurs de CO2 dans le monde, il rétorque que ces émissions sont en grande partie le fruit des produits que nous consommons, ici. « Si l’industrie produit, c’est que nous achetons. Ce sont nos achats qui alimentent ces industries. Arrêter d’acheter n’importe quoi, c’est la meilleure façon d’avoir un impact sur ce qui se passe à l’autre bout du monde. »

Avec les centaines de millions de visiteurs sur leurs sites, Jérémie Pichon comme Julien Vidal retrouvent une parcelle d’espoir. Si le bateau prend l’eau, hissons les voiles, pensent ces deux éco-optimistes, qui calculent maintenant leurs actifs en bonheur intérieur brut.

« Il faut faire contrepoid­s aux récits sombres et angoissant­s. On peut voir ce défi autrement et penser que, quand on agit, on le fait d’abord pour soi. En plus de réduire mon empreinte, dit Julien Vidal, je suis en meilleure forme, je mange mieux. En fait, je cumule du bonheur. »

Et de toute façon, comme le disait si bien Yann Arthus-Bertrand: «Il est trop tard pour être pessimiste. »

Si 15 % des gens adoptent un mode de vie plus vert, c’est assez pour enclencher une petite révolution. On en est loin, mais ça pourrait arriver.

JÉRÉMIE PICHON

Il est trop tard pour être pessimiste

YANN ARTHUSBERT­RAND

Comme les 50 000 personnes descendues dans la rue à Montréal, ils seront des milliers samedi à Paris à fouler le macadam pour dire que l’heure n’est plus à mettre les freins, mais carrément au rétropédal­age

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BÉNÉDICTE MORET BLOUTOUF.FR Illustrati­ons tirées du livre Ça commence par moi, de Julien Vidal
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ISABELLE PARÉ

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