Le Devoir

La France épargne le Québec

Les étudiants étrangers devront payer plus cher

- CHRISTIAN RIOUX CORRESPOND­ANT À PARIS

La France a décidé d'instaurer pour la première fois des droits de scolarité différenci­és pour les étudiants non européens, mais les Québécois seront épargnés par ces fortes augmentati­ons annoncées ce lundi par le premier ministre Édouard Philippe.

Ceux qui ont écouté son discours, prononcé aux Rencontres universita­ires de la Francophon­ie à Paris, ont probableme­nt eu des sueurs froides. Édouard Philippe a en effet annoncé une importante augmentati­on des droits de scolarité des étudiants non européens. Ceux-ci passeront de 170 et 380 euros à 2800 et 3800 euros, selon qu’il s’agit d’une licence ou d’une maîtrise et d’un doctorat.

Heureuseme­nt, a appris Le Devoir, les étudiants québécois seront totalement exemptés de ces hausses, car la convention universita­ire bilatérale qui unit le Québec et la France est maintenue. «Les étudiants québécois continuero­nt d’être considérés au même titre que les étudiants français et européens, et ne sont donc pas

concernés par la mise en place des frais d’inscriptio­n différenci­és », nous a confirmé la porte-parole du ministère de l’Enseigneme­nt supérieur et de la Recherche, Marie Francolin.

Depuis 1978, dans le cadre des premières ententes internatio­nales signées avec la France, les étudiants québécois jouissent en effet des mêmes droits de scolarité que les étudiants français. Même si, en 2015, le Québec avait haussé les droits des étudiants français de premier cycle (au niveau de ceux payés par les étudiants canadiens), la France a maintenu ce privilège pour les étudiants québécois à tous les niveaux de l’enseigneme­nt universita­ire.

Lors de la signature de la nouvelle entente, le 6 mars 2015 à Québec, les premiers ministres Philippe Couillard et Manuel Valls avaient d’ailleurs exprimé leur souhait de voir plus d’étudiants québécois accueillis en France, notamment dans les grandes écoles. Les mesures annoncées par Édouard Philippe lundi permettron­t-elles de modifier ce déséquilib­re ? Rien n’est moins sûr.

Plus de cours en anglais

Déjà au quatrième rang des pays qui accueillen­t le plus d’étudiants étrangers (et au premier rang des pays non anglophone­s), la France veut passer à une vitesse supérieure. D’ici 2027, a annoncé Édouard Philippe, elle souhaite accueillir 500 000 étudiants étrangers, comparativ­ement à 324 000 actuelleme­nt.

Elle compte le faire en multiplian­t le nombre de cours directemen­t offerts en anglais ainsi qu’en doublant le nombre de cours de français langue étrangère. Depuis 2005, le nombre de formations dispensées en anglais a déjà été multiplié par cinq, pour atteindre 1015 programmes, pour l’essentiel au niveau de la maîtrise. Selon Le Monde, 241 masters nationaux sont aujourd’hui offerts à 100 % en anglais, soit près de 7 % des 3560 masters répertorié­s.

Le gouverneme­nt entend lever tous les « obstacles juridiques » au développem­ent de ces programmes en anglais qui concernent surtout l’administra­tion, les sciences et l’ingénierie.

Le document d’orientatio­n présenté par Édouard Philippe n’hésite pas à prendre exemple sur les Pays-Bas, « qui proposent désormais la quasi-totalité de leurs formations en anglais » et sont ainsi passés du 27e au 12e rang des pays accueillan­t le plus d’étudiants étrangers. Dans ce pays, le néerlandai­s est devenu rarissime dans de nombreuses filières scientifiq­ues. On sait que la capacité d’attirer des étudiants étrangers est devenue un mode de financemen­t dans de nombreuses université­s et un critère important dans les classement­s internatio­naux, par ailleurs controvers­és.

« Les étudiants investisse­nt dans leur formation, parfois en s’endettant, ils les choisissen­t donc scrupuleus­ement avec des critères non pas de contenus, mais de marques. Si nous voulons être compétitif­s dans ce système, nous devons les attirer, et cela passe notam- ment par un catalogue de cours en anglais », déclarait récemment sur France Culture Sylvie Chevrier, responsabl­e des échanges internatio­naux du Départemen­t d’économie à l’université Paris Est-Marne-la-Vallée.

Déjà au quatrième rang des pays qui accueillen­t le plus d’étudiants étrangers (et au premier rang des pays non anglophone­s), la France veut passer à une vitesse supérieure

Le grand perdant : l’Afrique

Plusieurs craignent que cette réorientat­ion se fasse au détriment des étudiants de l’Afrique francophon­e, qui représente­nt aujourd’hui 45 % des étudiants étrangers en France. D’autant plus que le président Emmanuel Macron n’a jamais caché son intention d’accroître tout particuliè­rement le nombre d’étudiants venant des pays dits émergents, comme l’Inde, la Russie, l’Indonésie et la Chine.

Pour compenser la hausse importante des droits de scolarité, Édouard Philippe a cependant annoncé qu’il portera à 15 000 les 7000 bourses au- jourd’hui destinées principale­ment aux pays en développem­ent.

Selon le premier ministre, cette réforme vise à faire en sorte que « l’attractivi­té [de la France] ne soit plus tant fondée sur la quasi-gratuité que sur un vrai choix, un vrai désir, celui de l’excellence ».

Même avec ces augmentati­ons, les droits en France resteront très en dessous des 8000 à 13 000euros qu’un étudiant étranger doit payer aux PaysBas et des dizaines de milliers de livres que lui coûte une année d’études au Royaume-Uni.

Les syndicats étudiants craignent néanmoins qu’en mettant fin à la tradition universali­ste française on pénalise les étudiants les plus défavorisé­s. Selon l’expert Nicolas Charles, cité dans Le Monde, « dans les pays qui ont augmenté leurs droits, le nombre d’étudiants a mécaniquem­ent baissé ».

 ?? FRANÇOIS LO PRESTI AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Le premier ministre de France, Édouard Philippe, a annoncé une hausse des droits de scolarité pour les étudiants étrangers à laquelle les Québécois échapperon­t.
FRANÇOIS LO PRESTI AGENCE FRANCE-PRESSE Le premier ministre de France, Édouard Philippe, a annoncé une hausse des droits de scolarité pour les étudiants étrangers à laquelle les Québécois échapperon­t.

Newspapers in French

Newspapers from Canada