Une armée de l’air en déroute
La saga des avions de chasse du gouvernement fédéral se poursuit. Le plus récent rapport du vérificateur général révèle cette fois-ci que, bien qu’Ottawa prévoie de dépenser 3 milliards pour prolonger la durée de vie de ses chasseurs, ceux-ci ne sauront pas répondre aux besoins opérationnels du Canada.
« La Défense nationale s’attend à dépenser près de 3 milliards de dollars, en plus des budgets actuels, sans avoir de plan pour surmonter les plus grands obstacles au respect de la nouvelle exigence opérationnelle : la pénurie de pilotes et le déclin de la capacité de combat des CF-18 », déplore le vérificateur Michael Ferguson dans son rapport automnal présenté mardi.
Pourtant, cette nouvelle exigence a été décrétée par le gouvernement Trudeau lui-même. Depuis 2016, les libéraux arguent que la flotte de 76 avions de chasse du Canada doit pouvoir répondre à la fois aux besoins du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD) de même qu’aux opérations de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN).
Le ministre de la Défense, Harjit Sajjan, a martelé qu’il prenait la situation au sérieux. Son gouvernement s’est vite rendu compte, une fois élu, des deux problèmes ciblés par le vérificateur. Mais il a imputé la faute à l’ancien gouvernement conservateur, qu’il a remplacé il y a trois ans.
M. Ferguson note dans son rapport que la Défense nationale n’a pas amélioré de façon importante la capacité de combat de ses chasseurs depuis dix ans. Ces avions, achetés au début des années 1980, devaient au départ être en service une vingtaine d’années. Ils le seront finalement près de 50 ans, puisque le gouvernement prévoit maintenant de recevoir les premiers appareils de sa nouvelle génération de chasseurs en 2025.
« Le maintien en service des CF-18 jusqu’en 2032, sans disposer d’un plan pour améliorer leur capacité de combat, amènera la force de chasse à jouer des rôles moins importants et compromettra la capacité du Canada à contribuer aux opérations du NORAD et de l’OTAN », argue le vérificateur général.
Une longue saga
Le processus de remplacement des avions de chasse a connu toute une série de rebondissements. C’est un autre rapport de M. Ferguson, il y a six ans, qui avait sonné le glas du projet de l’ancien gouvernement de Stephen Harper de remplacer la flotte, sans appel d’offres, par des F-35 de Lockheed Martin. Le gouvernement de Justin Trudeau a relancé un nouveau processus d’acquisition. Entre-temps, il a prévu l’achat de 18 appareils F-18 australiens usagers — au coût de 1,29 milliard.
Le ministre Sajjan a annoncé mardi que le contrat avait justement été signé le jour même et que la Défense moderniserait ces vieux F-18 et les siens afin de corriger leur retard. Des frais qui s’ajouteront à la facture déjà engendrée pour prolonger la durée de vie des chasseurs canadiens — 1,8 milliard.
Qui plus est, l’Aviation royale canadienne ne dispose déjà pas de suffisamment de pilotes ou de techniciens pour exploiter de façon maximale sa flotte actuelle, a constaté M. Ferguson.
On compte seulement 64 % des pilotes nécessaires pour répondre aux demandes du NORAD et de l’OTAN. Et au rythme actuel, les pilotes quittent la force plus rapidement que de nouvelles recrues ne les remplacent.
Pénurie de main-d’oeuvre
Le manque de main-d’oeuvre est le même pour les techniciens de maintenance de ces appareils. Résultat, les pilotes peinent à enregistrer le nombre minimal d’heures de vol requis (28 % avaient piloté moins des 140 heures exigées l’an dernier).
« La solution proposée par le gouvernement, à savoir acheter des aéronefs pour un usage provisoire, ne permettra de régler ni la pénurie de personnel ni le vieillissement de la flotte », tranche le rapport du vérificateur. Le ministre de la Défense a là encore soutenu que l’aviation s’affairait à recruter davantage de pilotes et à retenir ceux qu’elle a déjà formés, sans offrir de précision ni de date à laquelle l’aviation royale comptera suffisamment de pilotes et de techniciens.
Les conservateurs ont accusé leurs rivaux libéraux de trop tarder à remplacer les vieux CF-18. Le ministre Sajjan a rétorqué qu’eux avaient failli à le faire alors qu’ils ont été dix ans au gouvernement.
Malgré le dur constat du vérificateur général, M. Sajjan n’a pas pour autant l’intention d’accélérer le processus de remplacement de ces avions. « Nous allons mener le processus aussi rapidement que possible. Mais nous devons nous assurer que cela se fait avec diligence », a-t-il tranché.