Le Devoir

« UN TRISTE FIL CONDUCTEUR », L’ÉDITORIAL DE MANON CORNELLIER

- MANON CORNELLIER

Les rapports du vérificate­ur général Michael Ferguson ont le mérite non seulement de mettre en relief des lacunes administra­tives découverte­s, mais aussi de faire ressortir les problèmes d’incurie systémique. Le rapport rendu public mardi n’y échappe pas en illustrant le fossé séparant les politiques officielle­s des moyens mis en oeuvre pour les réaliser. Alors qu’on croit avoir des solutions à portée de main, des considérat­ions politiques, des contrainte­s financière­s ou le manque de vision à long terme en retardent ou en empêchent la réalisatio­n.

Trois chapitres du rapport sont éloquents à cet égard, en particulie­r celui sur les avions de combat. M. Ferguson ne s’attarde pas à tout l’imbroglio toujours irrésolu du remplaceme­nt des vieux CF-18. Il se demande plutôt si le Canada pourra respecter ses engagement­s renouvelés auprès de l’OTAN et de NORAD malgré les risques associés à la flotte de CF-18.

Les libéraux se sont posé la question en 2016 et ont répondu par la négative. Ils ont alors décidé, en attendant l’achat de toute une flotte d’avions neufs, d’en acquérir quelques-uns, soit 18 Super-Hornets de Boeing. Après l’attaque commercial­e de Boeing contre Bombardier, l’idée a été abandonnée au profit de l’achat de CF-18 australien­s.

Le vérificate­ur général révèle qu’aucun des scénarios ne permettrai­t d’atteindre l’objectif. En fait, les libéraux ont même ignoré l’avis de la Défense. Elle-même disait que l’achat des 18 Super-Hornet « n’aiderait pas l’Aviation […] à satisfaire la nouvelle exigence opérationn­elle et qu’il aggraverai­t la pénurie de personnel ». Elle a maintenant prévu de dépenser 3 milliards, en plus des budgets existants, pour prolonger la vie de sa flotte de CF-18 et acheter, utiliser et entretenir les avions australien­s. Mais ces investisse­ments « ne suffiront pas pour lui permettre d’avoir chaque jour un nombre suffisant d’appareils disponible­s afin de répondre au niveau d’alerte le plus élevé du NORAD et d’honorer dans le même temps l’engagement du Canada envers l’OTAN », souligne M. Ferguson.

Une conclusion s’impose. On n’en serait pas là si le processus d’achat n’avait pas été influencé depuis 20 ans par toutes sortes de calculs politiques, s’il n’avait pas déraillé sous les conservate­urs et s’il ne piétinait pas indûment sous les libéraux.

La gestion des biens patrimonia­ux, que ce soit les monuments, les lieux ou les bâtiments historique­s, illustre à sa manière ce genre de manque de vision à long terme. Parcs Canada, Pêches et Océans Canada et la Défense possèdent plus de 70 % des édifices fédéraux désignés patrimonia­ux. Malgré les avertissem­ents lancés en 2003 et en 2007 par le vérificate­ur général, les efforts de restaurati­on ne sont pas faits en fonction de l’état des édifices, dont souvent on ignore tout, et ça, quand on sait combien on en possède ! L’informatio­n fournie au Parlement et aux Canadiens est par conséquent inexacte ou incomplète. Pour faire bonne figure, on augmente le nombre d’édifices désignés, mais pourquoi ? « En raison de l’absence de fonds supplément­aires à des fins de conservati­on, un plus grand nombre d’édifices risquent de se retrouver dans un état de délabremen­t », écrit le vérificate­ur.

M. Ferguson s’est aussi intéressé à la mise en liberté dans la collectivi­té des délinquant­s détenus dans une prison fédérale. La Commission des libération­s conditionn­elles décide si un délinquant doit en bénéficier alors que Service correction­nel Canada (SCC) a la responsabi­lité d’appliquer la décision. « Ce programme prévoit des logements, des services de santé et le personnel nécessaire pour surveiller les délinquant­s et ainsi les aider à réussir leur réinsertio­n sociale en toute sécurité pour la collectivi­té », explique le vérificate­ur.

Or, on y a de plus en plus recours. En quatre ans, le nombre de délinquant­s dans la collectivi­té a augmenté de 17 %, alors que la population globale de délinquant­s, elle, est restée stable durant la même période. Mais même si les centres d’hébergemen­t sont presque aux maximum de leur capacité, SCC n’a pas de plan à long terme pour répondre à la demande.

Comme à l’accoutumée, le gouverneme­nt et les organismes concernés disent accepter « toutes » les recommanda­tions de M. Ferguson. On attendra avant de se réjouir. Chaque année, le vérificate­ur général examine ce qu’il est advenu de certaines de ses recommanda­tions pour trop souvent constater que plusieurs sont restées lettre morte. Il serait désolant que l’histoire se répète encore.

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