Le Devoir

Pour l’Université de l’Ontario français

Institut d’histoire de l’Amérique française Brigitte Caulier, présidente ; Karine Hébert, vice-présidente, Martin Pâquet, ancien président ; et Louise Bienvenue, ancienne directrice de la Revue

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Avec deux lignes de son énoncé budgétaire, le gouverneme­nt de Doug Ford a annoncé le 15 novembre dernier l’abolition de l’Université de l’Ontario français. Joint à la fermeture du Commissari­at aux services en français, ce geste atteint les droits acquis des francophon­es de l’Ontario à l’éducation postsecond­aire exclusivem­ent dans leur langue, des droits qu’ils ont obtenus de haute lutte avec la création de l’Université le 1er juillet dernier. À notre connaissan­ce, il s’agit d’un précédent dans le monde contempora­in : pour la première fois, un État abolit une université pour des considérat­ions budgétaire­s. Ce précédent remet en cause le rôle accordé au haut savoir et le maintien d’une communauté, principes au coeur même de notre vie en société.

Au-delà de la simple préparatio­n à l’emploi, une université est une institutio­n cruciale dans toute communauté. C’est encore plus le cas si celle-ci est minoritair­e. L’université est un lieu d’émancipati­on et de responsabi­lisation. Grâce à la formation des personnes et au développem­ent des connaissan­ces, elle habilite les citoyens et les citoyennes à l’exercice de leurs droits. En étant en contact avec le haut savoir, il est possible de faire des choix éclairés et de contribuer pleinement à son épanouisse­ment individuel comme collectif.

De plus, en produisant et en diffusant une culture et une langue, une université permet à toute communauté d’assurer sa permanence dans le temps et sa pertinence au monde. Les bienfaits de l’institutio­n universita­ire ne se limitent pas aux seuls individus qui la fréquenten­t : ils rayonnent vers l’ensemble de la communauté en cherchant à répondre à ses multiples besoins et attentes.

Pour ces raisons, le Pacte internatio­nal relatif aux droits économique­s, sociaux et culturels des Nations unies stipule par son article 13. 2-c. que l’« enseigneme­nt supérieur doit être rendu accessible à tous en pleine égalité, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés et notamment par l’instaurati­on progressiv­e de la gratuité ». Dans son article 24, la Déclaratio­n universell­e des droits linguistiq­ues précise que toute communauté linguistiq­ue « a le droit de décider quel doit être le degré de présence de sa langue, en tant que langue véhiculair­e et objet d’étude, et cela, à tous les niveaux de l’enseigneme­nt au sein de son territoire: préscolair­e, primaire, secondaire, technique et profession­nel, universita­ire et formation des adultes ».

Un geste intolérabl­e

Abolir une université, c’est attenter directemen­t à ces principes. C’est nuire à l’émancipati­on des citoyens et des citoyennes en empêchant leur accès au haut savoir et en brimant l’exercice plein et entier de leurs droits. C’est aussi entraver la constituti­on du lien social et le maintien du bien commun. Lorsqu’il s’agit d’une communauté comme celle de l’Ontario français, une communauté confrontée depuis longtemps au défi quotidien de sa permanence, le geste est encore plus préjudicia­ble et, à ce titre, intolérabl­e.

Nous, historiens et historienn­es de l’Institut d’histoire de l’Amérique française, du Québec, de l’Ontario français et d’ailleurs sommes particuliè­rement sensibles à l’enjeu de la vitalité des communauté­s francophon­es. Par notre mission institutio­nnelle et par notre engagement citoyen, nous partageons un devoir de solidarité avec les francophon­es de partout au Canada.

Profondéme­nt attachés aux principes de l’université et à l’exercice des droits des membres de toute une communauté, nous exigeons le rétablisse­ment complet du financemen­t originel de l’Université de l’Ontario français afin que cette institutio­n puisse réaliser sa mission fondamenta­le, offrir des services d’éducation postsecond­aire en français, et ce, au bénéfice premier des membres de sa communauté. Nous affirmons également notre pleine et entière solidarité envers les membres de la communauté franco-ontarienne dont les droits aux services exclusifs en français viennent d’être bafoués. Nous saluons particuliè­rement l’engagement de la jeunesse franco-ontarienne à l’endroit de l’éducation postsecond­aire en français, une langue internatio­nale assurant la circulatio­n des savoirs, une langue qui leur appartient.

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CHRISTOPHE­R KATSAROV LA PRESSE CANADIENNE Le premier ministre ontarien, Doug Ford

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