Le Devoir

La turlutte des années de rupture

La vie culturelle montréalai­se au temps de la crise et de la guerre

- STÉPHANE BAILLARGEO­N

Une nouvelle technologi­e fabuleuse permet de transporte­r l’informatio­n instantané­ment partout, y compris par-dessus les frontières. Les compagnies américaine­s prennent très vite le contrôle, y compris des publicités. Les production­s concurrenc­ent et menacent les médias traditionn­els, les magazines, les journaux. Alors le quotidien La Presse décide de s’y mettre et de prendre le virage à son tour.

On parle de quoi et de quand exactement? Du Web, de Facebook et de La Presse+ ? Non. Il s’agit bel et bien de la situation développée autour de la radio il y a un siècle. L’invention monopolisé­e par l’armée pendant la Première Guerre mondiale prend de l’expansion commercial­e grâce à une loi fédérale en 1922. La Presse s’allie alors à la société Marconi pour fonder la station CKAC, la première du monde francophon­e. L’équivalent anglophone montréalai­s, CFCF, est lancé la même année.

Le nouveau média s’impose vite avec sa caractéris­tique fondamenta­le qui permet d’offrir la couverture et le commentair­e sur le monde en temps réel. La première descriptio­n en direct d’un match de hockey se fait en 1925.

La concurrenc­e vient alors des chaînes américaine­s, qui diffusent des émissions parlées et beaucoup de musique. En 1929, CKAC s’associe à CBS pour diffuser des émissions musicales produites aux États-Unis. La chaîne montréalai­se forme son propre orchestre symphoniqu­e l’année suivante. Devant les dangers d’américanis­ation des ondes, Ottawa suit les recommanda­tions de la commission Aird (1928) en créant en 1932 ce qui va engendrer CBC/RC. Et maintenant, la stratégie biculturel­le de nation building née dans ce temps paraît à nouveau menacée par une nouvelle technologi­e sous contrôle américain.

Voilà une des histoires éclairante­s racontées en quelques pages par Denis Saint-Jacques dans le recueil Les médias parlent et chantent. On en retrouve une vingtaine d’autres pour composer des «chroniques de la vie culturelle à Montréal durant la crise et la guerre», comme l’indique le sous-titre. Le florilège va des caricature­s à la danse sociale, des sports d’hiver aux affiches, des fêtes du 300e de la ville au théâtre (en fait, la production du Soir des rois des Compagnons de Saint-Laurent) jusqu’aux tournées d’Oscar Peterson, en passant par la modernité des peintres juifs. Presque chaque coup, l’auteur imagine un texte en forme de témoignage (une lettre, un extrait de journal, un article de revue…) livré à l’époque et retrouvé récemment.

L’ensemble permet de corriger bien des clichés colportés sur l’histoire de la métropole et du Québec tout entier. Bien sûr, les années 1930 et 1940 ont aussi fait déverser sur ce coin du monde des Niagara de peines et de misères. En même temps, Montréal s’est alors engagée dans une révolution culturelle tranquille autour des médias qui parlent et qui chantent, le cinéma et la radio, le disque, mais aussi dans les salles de spectacles ou de danse, comme dans les galeries d’art.

L’ouvrage s’adresse au grand public et résume les dernières recherches en histoire culturelle. Il permet finalement de relativise­r nos propres transforma­tions comme les grandes et petites misères de notre début de siècle.

Grâce à une loi fédérale en 1922, La Presse s’allie à la société Marconi pour fonder la station CKAC, la première du monde francophon­e

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HISTORIA
 ??  ?? Les médias parlent et chantent ★★★Sous la direction de Denis Saint-Jacques et Marie-Josée Des Rivières, Nota Bene, Montréal, 2018, 352 pages
Les médias parlent et chantent ★★★Sous la direction de Denis Saint-Jacques et Marie-Josée Des Rivières, Nota Bene, Montréal, 2018, 352 pages

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