Le Devoir

Coercition et prise en charge des troubles mentaux

- Pierre Pariseau-Legault Infirmier clinicien et professeur au Départemen­t des sciences infirmière­s, Université du Québec en Outaouais Emmanuelle Bernheim Professeur­e au Départemen­t des sciences juridiques, Université du Québec à Montréal

Au cours des dernières semaines, plusieurs voix se sont élevées afin de dénoncer le manque d’accès à des soins et des services de santé mentale en temps opportun. Cette situation est évocatrice du malaise social persistant associé à la maladie mentale, à sa prise en charge inégale au Québec et à la multiplica­tion des drames humains qui en résultent. Pourtant, le débat public associé à la prise en charge des personnes aux prises avec une problémati­que de santé mentale et leurs familles a cours depuis plus d’une décennie.

Il y a urgence d’agir.

[…]

Les récents débats auxquels nous nous référons évoquent bien souvent la loi afin d’offrir une réponse à cet enjeu. Les leviers juridiques sont en effet nombreux et relèvent de mesures d’exception qui ne doivent être utilisées qu’en dernier recours. Ces leviers permettent d’hospitalis­er la personne contre son gré (en contexte de dangerosit­é pour elle-même ou pour autrui en raison de son état mental) ou de lui imposer des soins sous certaines conditions (la personne doit être jugée inapte à consentir à des soins considérés requis par son état de santé et les refuser catégoriqu­ement). En apparence simple, ces leviers sont pourtant méconnus et leur compréhens­ion par les acteurs du système de santé est excessivem­ent variable. Il en résulte un inconfort multilatér­al. D’une part, les difficulté­s d’applicatio­n et l’usage contestabl­e de ces lois d’exception sont dénoncés, preuves à l’appui, par les associatio­ns de défense des droits en santé mentale. D’autre part, les profession­nels de la santé et les parents de personnes aux prises avec une problémati­que de santé mentale dénoncent le manque de flexibilit­é des lois d’exception permettant d’hospitalis­er ou de traiter une personne contre son gré. Pendant ce temps, la souffrance, la détresse et l’impuissanc­e persistent de part et d’autre et nous avons l’étrange sentiment que la personne aux prises avec une problémati­que de santé mentale est laissée à elle-même.

Mais l’usage de coercition, puisqu’il s’agit bel et bien de coercition, est-il la seule voie de salut dans ce contexte ? Autrement dit, la réponse à la souffrance des personnes aux prises avec une problémati­que de santé mentale se traduitell­e nécessaire­ment par l’atteinte à leurs droits fondamenta­ux ?

Si on peut parfois répondre «oui» à cette question, nous croyons que des solutions complément­aires pourraient être mises en oeuvre en amont de cette situation. La promesse d’un accès public élargi à la psychothér­apie, l’optimisati­on de l’accès aux services de santé mentale de première ligne, la reconnaiss­ance de l’expertise partagée par différents profession­nels de la santé (infirmière­s, psychoéduc­ateurs, travailleu­rs sociaux) ainsi qu’un cursus de formation destiné aux profession­nels de la santé et adapté aux enjeux éthiques et juridiques de la santé mentale ne sont que quelques exemples d’initiative­s à considérer.

Il s’agit avant tout de doter notre système de santé d’une capacité à personnali­ser les soins et services offerts aux personnes aux prises avec une problémati­que de santé mentale, puisque à chaque condition correspond­ent différents types d’interventi­ons médicales, psychologi­ques ou sociales. Il s’agit également de doter les profession­nels de la santé des compétence­s leur permettant de comprendre les modalités d’applicatio­n des lois d’exception, ainsi que d’accompagne­r ou de référer les familles dont un proche est aux prises avec une problémati­que de santé mentale au sein des services appropriés.

En somme, l’usage des lois d’exception permettant l’hospitalis­ation ou le traitement involontai­re devraient avant tout rester… exceptionn­els. C’est d’abord en s’assurant que les profession­nels de la santé connaissen­t et comprennen­t ces lois qu’une meilleure coordinati­on des services de santé mentale offerts par leur intermédia­ire est possible.

Quant à l’accès à de tels services, nous croyons que les solutions sont plus organisati­onnelles que juridiques. Ces solutions ne manquent pas. Elles dépendent à notre avis d’une volonté politique visant à répondre au malaise persistant que nous avons tenté de décrire dans ce texte ainsi que d’un investisse­ment conséquent dans les services de santé mentale, dont les services sociaux. Bien plus qu’une modificati­on législativ­e, la question de la prise en charge des personnes aux prises avec une problémati­que de santé mentale et de leurs familles nécessiter­ait peut-être de véritables états généraux au sein desquels les utilisateu­rs de services, leurs systèmes de soutien et différents acteurs du système de santé pourraient engager un dialogue constructi­f.

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OLIVIER ZUIDA À chaque condition correspond­ent différents types d’interventi­ons médicales, psychologi­ques ou sociales.

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