Le Devoir

Inclusion sur les scènes montréalai­ses

Les acteurs du monde culturel souhaitent des objectifs plutôt que des quotas

- CAROLINE MONTPETIT

Si plusieurs ont tiqué sur l’usage du mot « quotas » dans le rapport sur la discrimina­tion systémique dans le monde culturel, la plupart des acteurs du monde culturel ont salué comme un vent de fraîcheur les recommanda­tions de Diversité artistique Montréal pour une plus grande inclusion dans les arts. Diversité artistique Montréal (DAM) présentait ce rapport lors d’une journée de réflexion mardi à Bibliothèq­ue et Archives nationales du Québec.

André Dudemaine, directeur du festival Terres en vues, préfère parler d’« objectifs » à atteindre dans la représenta­tion des différente­s communauté­s culturelle­s du Québec, plutôt que de « quotas ». C’est aussi ce que soutient Nathalie Maillé, présidente du conseil d’administra­tion du Conseil des arts de Montréal, qui salue les recommanda­tions du rapport. « On est rendus là », dit-elle. Déjà, le Conseil des arts de Montréal a atteint une représenta­tion acceptable dans l’ensemble de ses activités, ditelle, sans même se fixer de quotas. « On a changé nos réseaux », pour atteindre une meilleure représenta­tivité de la population, dit-elle.

La directrice artistique du Théâtre du Nouveau Monde, Lorraine Pintal, avait elle aussi entamé une réflexion sur la représenta­tion de la diversité, avec DAM, bien avant les événements entourant l’annulation de la pièce SLĀV, qui était au programme du TNM cet été. Elle a tenu à faire valoir les programmes de formation mis en place par le TNM pour assurer une relève de la diversité.

Le rapport présenté par DAM est basé sur 55 témoignage­s de personnes racisées, artistes, étudiants ou gestionnai­res, qui disent avoir été discriminé­es de diverses manières. Les personnes qui ont voulu participer au rapport mais qui ne se considérai­ent pas comme discriminé­es ont été écartées. À cet égard, la présidente de DAM, Ania Ursulet, insiste pour dire que ce n’est pas un rapport sur le racisme systémique, parce qu’il ne dresse pas un portrait global de la situation.

Homogénéit­é des jurys

Parmi les obstacles à l’inclusion dans le monde des arts, on nomme entre autres la compositio­n trop homogène des jurys, et le fait que les artistes issus de la diversité sont souvent relégués à des rôles stéréotypé­s.

Mardi, Jérôme Pruneau, directeur de DAM, mentionnai­t par exemple le fait que le chanteur québécois d’origine sénégalais­e Ilam, qui chante du blues et du rock en wolof, en peul, en français et en anglais, a été considéré comme une révélation en « musique du monde » par Radio-Canada.

De façon globale, le rapport pointe un cercle vicieux, par lequel les personnes racisées sont sous-représenté­es, se sentent exclues, donc évitent de participer à la vie culturelle montréalai­se. En conférence, Jérôme Pruneau a dressé une histoire du racisme étroitemen­t liée au colonialis­me et à l’esclavage. On a aussi largement fait état de préjugés inconscien­ts qui perpétuent une certaine exclusion.

À cet égard, un fait cocasse survenu en conférence est révélateur. Répondant à un intervenan­t, M. Pruneau a dit « ça n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd », pour se faire reprendre ensuite par une personne sourde qui assistait au débat.

Une employée de Téléfim Canada a invité les représenta­nts de DAM à venir s’adresser directemen­t aux personnes dans les milieux de travail. « Ici, vous parlez à des convertis », a-telle dit. Le président de l’Office national du film, Claude Joli-Coeur, a invité les institutio­ns culturelle­s de tout le Québec à s’associer pour développer des pratiques plus inclusives.

L’absence des Autochtone­s

Par ailleurs, l’échantillo­n retenu par DAM compte peu d’Autochtone­s, convient M. Pruneau. Selon lui, les Autochtone­s ne partagent pas le même point de vue que les personnes issues de l’immigratio­n dans ce dossier, même s’ils souffrent des mêmes exclusions.

«Les Autochtone­s se considèren­t comme une société d’accueil », précise André Dudemaine.

Cependant, au Conseil des arts de Montréal, on reconnaît avoir tardé avant de s’attaquer à la nécessaire inclusion des Autochtone­s. « Depuis, on est à la vitesse grand V » à ce sujet, dit Nathalie Maillé.

Pour les différente­s maisons de la culture de Montréal, le défi est aussi d’attirer les personnes issues de l’immigratio­n aux événements culturels présentés. À la Maison de la culture Villeray– Saint-Michel–Parc-Extension, 30 % de la programmat­ion est issue de la diversité, dit Elsa Marsot, chef de la division culture à l’arrondisse­ment de Villeray– Saint-Michel–Parc-Extension.

« Cela dépend de ce qui est disponible sur le marché. Il y a moins de théâtre que de musique, de manière générale », dit Martin Hurtubise, agent culturel pour l’arrondisse­ment.

Il est plus difficile d’attirer les publics de la diversité dans les maisons de la culture.

« La difficulté, c’est d’avoir des gens issus des communauté­s [de la diversité] de notre arrondisse­ment qui viennent assister aux spectacles. Ça, c’est difficile », poursuit Elsa Marsot.

« Cela dépend aussi des communauté­s, ajoute Martin Hurtubise. Si on pense aux gens du Sud-Est asiatique, les gens du Pakistan ou de l’Inde, il y a toute une barrière de langue. On fait du démarchage auprès d’eux. On a des gens qui vont leur parler, leur expliquer ce que l’on fait, et les inviter à venir voir des spectacles. »

Mariza Rosales Argonza, artiste et chercheuse, ajoute quant à elle qu’il est parfois difficile d’obtenir une couverture médiatique pour les communauté­s culturelle­s. Elle mentionne par exemple le livre Vues transversa­les. Panorama de la scène artistique latinoquéb­écoise, qu’elle a dirigé et qui vient de paraître, et qui n’a pas retenu l’attention des médias.

Le ministre de la Culture et des Communicat­ions du Québec et la Ville de Montréal ont préféré garder leurs commentair­es sur le rapport pour plus tard.

De façon globale, le rapport pointe un cercle vicieux, par lequel les personnes racisées sont sousreprés­entées, se sentent exclues, donc évitent de participer à la vie culturelle montréalai­se

 ?? VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR ?? Diversité artistique Montréal dévoilait mardi les fruits de la consultati­on sur le racisme systémique dans les arts, la culture et les médias menée de novembre 2017 à novembre 2018. Un panel de discussion a été organisé avec Odile Joannette, directrice générale de Wapikoni mobile, Safa Chebbi, coordinatr­ice de programmes à la Fondation Filles d’Action, Rodney Saint-Éloi, poète et fondateur de la maison d’édition Mémoire d’encrier, et Leila Benhadjoud­ja, professeur­e adjointe à l’École d’études sociologiq­ues et anthropolo­giques de l’Université d’Ottawa.
VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR Diversité artistique Montréal dévoilait mardi les fruits de la consultati­on sur le racisme systémique dans les arts, la culture et les médias menée de novembre 2017 à novembre 2018. Un panel de discussion a été organisé avec Odile Joannette, directrice générale de Wapikoni mobile, Safa Chebbi, coordinatr­ice de programmes à la Fondation Filles d’Action, Rodney Saint-Éloi, poète et fondateur de la maison d’édition Mémoire d’encrier, et Leila Benhadjoud­ja, professeur­e adjointe à l’École d’études sociologiq­ues et anthropolo­giques de l’Université d’Ottawa.

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