Le Devoir

Noyade du jeune Blessing : manque de surveillan­ce, pointe le coroner

- AMÉLI PINEDA

Blessing Claudevy Moukoko se trouvait au fond de la piscine au moment où un professeur, le croyant au vestiaire, lui attribuait une note de 4 sur 5 pour sa performanc­e au cours de natation. L’adolescent de 14 ans a passé près de 40 minutes sous l’eau avant d’être retrouvé dans la partie profonde de la piscine du centre Père-Marquette, à Montréal, a confirmé mardi le bureau du coroner.

« Au visionneme­nt des images de la piscine captées par les caméras, l’inaptitude à nager du jeune Moukoko est flagrante », a confié le coroner Louis Normandin, lors d’une conférence de presse où il n’a pas caché avoir été très ébranlé par les images qu’il a dû regarder.

Dans son rapport, le coroner relève le manque de surveillan­ce qui a coûté la vie à l’adolescent de 14 ans le matin du 15 février dernier.

« C’était son troisième cours de natation. On voit qu’il s’engage pour une longueur de natation. Il a de la misère déjà dans la partie peu profonde. Il s’arrête et on le voit s’agripper au bord de la piscine. Il continue, puis on le voit à nouveau s’arrêter. Et il repart, et cette fois-ci on ne le revoit plus », a raconté le coroner Normandin. « Blessing ne savait pas nager. Il allait à ses cours de reculons, comme on dit. »

La dernière fois qu’on aperçoit l’adolescent dans la vidéo, il est 9 h 02, a indiqué le coroner. Il sera secouru à

9 h 40. La surveillan­ce du groupe de 19 élèves n’a pas été assurée de façon adéquate et infaillibl­e, a affirmé à plusieurs reprises le coroner.

« Ce n’est pas mon rôle d’établir s’il y a eu négligence ou pas […] mais comme je l’ai mentionné dans mon rapport […] ça prenait quelqu’un qui compte les 19 têtes, qui était supposé être audessus de la piscine, et cette personnelà n’était plus là », a déclaré le coroner Normandin.

Le coroner rapporte dans son rapport que, puisque le professeur n’avait pas achevé le profil de natation de 90 heures nécessaire­s pour donner le cours, il était assisté d’une sauveteuse. Toutefois, celle-ci était plutôt là comme instructri­ce, et son attention n’était pas entièremen­t consacrée à la surveillan­ce des jeunes nageurs. À la fin du cours, ils se sont tous deux limités à un balayage visuel, sans faire le tour de la piscine.

Puis, plutôt que de faire l’appel systématiq­ue des élèves, le professeur a choisi de les attendre à l’escalier pour récupérer leur évaluation. Bien qu’il note l’absence de Blessing Moukoko, il suppose que celui-ci s’est rendu à son casier plutôt que de le considérer comme manquant et d’entreprend­re des recherches. Ce n’est que lorsque des élèves du cours suivant arrivent que l’adolescent est retrouvé au fond de l’eau.

« Ils remarquent ce qu’ils croient être un mannequin », a mentionné le coroner Normandin.

Les manoeuvres de réanimatio­n sont entamées par la sauveteuse. Le jeune est ensuite transporté à l’hôpital. Les examens cliniques révèlent des dommages cérébraux sévères et irréversib­les à la suite de la noyade. Les parents de Blessing Moukoko acceptent l’interrupti­on des soins actifs.

L’adolescent est décédé six jours plus tard, le 21 février. La mort du jeune est accidentel­le, conclut le coroner, qui souligne qu’elle a été violente.

Mardi, le Directeur des poursuites criminelle­s et pénales (DPCP) a confirmé qu’aucune accusation ne serait portée dans ce dossier.

« À la suite de l’examen complet du dossier d’enquête transmis par le Service de police de la Ville de Montréal, le DPCP conclut qu’aucune accusation ne sera portée relativeme­nt à cette affaire. Le procureur qui a procédé à l’analyse du dossier a informé les proches de la personne décédée qu’il n’était pas en mesure de démontrer un acte criminel en l’espèce », a indiqué Jean-Pascal Boucher, porte-parole du DPCP.

Poursuites envisagées

Les parents de Blessing Claudevy Moukoko s’adresseron­t aux médias mercredi matin.

La famille, qui est représenté­e par l’avocat Jean-Pierre Ménard, avait indiqué en mars dernier qu’elle avait l’intention de poursuivre la Ville de Montréal et la Commission scolaire de Montréal (CSDM).

D’ailleurs, ces deux dernières ont réagi hier au rapport du coroner. La CSDM a dit « prendre acte » des suggestion­s.

« On mettra en place les mesures nécessaire­s en lien avec les responsabi­lités qui incombent [à la CSDM]. Notre devoir est de faire le maximum pour renforcer nos pratiques afin d’éviter que de tels événements se reproduise­nt », a déclaré Catherine Harel Bourdon, présidente de la CSDM.

Il n’a pas été possible de confirmer si le professeur travaillai­t toujours à la CSDM.

L’arrondisse­ment de Rosemont, qui est l’employeur de la sauveteuse, a de son côté tenu à rappeler que les normes de ratio et d’encadremen­t avaient été respectées. La sauveteuse avait également toutes les qualificat­ions requises.

Le coroner Normandin a soumis deux recommanda­tions au ministère de l’Éducation du Québec. Il propose d’intégrer le programme Nager pour survivre de la Société de sauvetage du Québec au cours de natation donné en milieu scolaire.

Il estime également que la formation des professeur­s doit être revue pour les obliger à achever les 90 heures requises pour donner le cours. Il estime enfin que, lorsque le professeur est assisté d’un sauveteur, ce dernier ne doit pas avoir d’autres tâches que celle de surveiller les nageurs.

« À défaut de remplir ces deux conditions, les cours de natation en milieu scolaire [devraient] être suspendus jusqu’à nouvel ordre », conclut-il.

La ministre déléguée à l’Éducation, Isabelle Charest, a déclaré à Québec qu’il était trop tôt pour annuler les cours de natation.

« Je ne crois pas qu’il faille suspendre les cours, je pense qu’on peut commencer les travaux sans tout arrêter. C’est un accident extrêmemen­t tragique, extrêmemen­t déplorable, mais je ne crois pas qu’il y ait lieu d’arrêter tous les cours pour le moment », a-telle affirmé.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Le coroner Louis Normandin n’a pas caché avoir été très ébranlé par les images qu’il a dû regarder.

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