Un virage coûteux
Qu’ont en commun des sociétés comme Bombardier et GM à part le fait qu’elles viennent d’annoncer des milliers de mises à pied ? Premièrement, elles sont entièrement dépendantes des changements rapides et radicaux dans la demande mondiale ; deuxièmement, elles ont reçu des milliards en aide des gouvernements sans jamais se sentir liées à d’autres qu’à leurs actionnaires ; troisièmement, rien ne les force donc à rester chez nous.
Depuis une trentaine d’années, nos gouvernements ont favorisé la signature d’accords commerciaux dans le but d’avoir accès à des marchés plus étendus qui génèrent des retombées importantes sur l’emploi et sur la rémunération. C’est ainsi que les Bombardier, CGI et SNC-Lavalin, pour ne nommer que ces trois compagnies québécoises, ont pu croître au point de s’imposer à l’échelle mondiale.
En contrepartie, on a ouvert nos frontières aux sociétés étrangères, souvent sans restriction, de sorte que nous payons moins cher quand vient le temps de faire l’acquisition de wagons, d’aéronefs ou de voitures, sur une base individuelle autant que collective.
Malheureusement, en tentant ainsi de réaliser des gains sur tous les tableaux à la fois, il nous arrive de nous faire rouler dans la farine. Hier, par exemple, nous apprenions que les prochains trains de VIA Rail seraient construits en Californie par l’allemande Siemens. Combien cela nous fera-t-il économiser ? Pas beaucoup, mais nous aurons ainsi respecté l’accord de libre-échange signé avec l’Europe.
Même chose pour les trains du futur REM montréalais qui seront construits en Inde. Le pire est que, dans les deux cas, même Bombardier aurait probablement construit les siens ailleurs qu’ici.
Certains diront qu’il faut imiter Donald Trump, mais ceux-là devront admettre que ce protectionnisme a fait augmenter de 2 milliards $US les coûts de Ford et de GM cette année. Et son slogan America first ne suffira pas pour empêcher la fermeture de quatre usines GM aux États-Unis.
Si le message de M. Trump — « Investissez chez nous ou gardez vos bébelles pour vous ! » — a quand même un effet certain auprès des investisseurs américains autant qu’étrangers, c’est à cause de l’importance du marché américain, point.
Le Canada et le Québec ne peuvent pas jouer les gros bras, mais cela ne nous empêche pas d’exiger un minimum de contenu national aussi souvent que possible. Pourquoi ne le fait-on pas ? Par naïveté ou pour économiser quelques millions ?
Cela dit, les mises à pied auxquelles nous assistons dans les secteurs aéronautique et automobile ne sont pas seulement dues au libre-échange. Dans les deux cas, ce sont surtout les consommateurs qui dictent le changement. GM a fait faillite en 2009 parce qu’elle n’avait pas réagi assez tôt aux attentes des consommateurs. En délaissant les vieux modèles comme la Chevrolet Impala qu’on ne retrouve plus que dans les flottes de la police au profit des multisegments hybrides ou électriques, GM suit l’exemple des constructeurs européens avant qu’il soit trop tard. De même pour Bombardier qui abandonne la construction de certains modèles turbopropulsés. Verte ou pas, toute transition coûte cher.
Quant à exiger que les nouveaux modèles soient construits dans les mêmes installations, combien de milliards supplémentaires faudrait-il allonger pour être entendu ? L’Australie a déjà fait son deuil de la présence de constructeurs automobiles. Heureusement, ce n’est pas le cas du Canada, mais rendonsnous à l’évidence : l’Ontario a perdu beaucoup de terrain depuis vingt ans.
À titre de consommateurs publics ou privés, en plus d’utiliser toutes les clauses qui nous permettent d’exiger un minimum de contenu canadien dans les achats que nous faisons, nous devons redoubler d’efforts pour stimuler la création de sociétés dans des secteurs d’avenir. D’abord en mettant l’accent sur la formation d’une main-d’oeuvre très qualifiée, puis en cessant d’être aussi naïfs devant ces géants américains qui installent chez nous des centres de recherche dans le but de profiter de nos chercheurs et d’en tirer des brevets et des données qui serviront d’abord à étendre leur propre domination.