Le Devoir

Le règne du faux

- MARIE-ANDRÉE CHOUINARD

Comment l’enseigne Art déco d’Archambaul­t, emblème des années 1930 sacré dans le paysage montréalai­s, at-elle pu se retrouver lundi trimballée dans un camionremo­rque en pleine autoroute ? Parce que ni Québecor ni Renaud-Bray, ancien et actuel propriétai­res, n’y ont vu autre chose qu’une marque de commerce à transbahut­er. Voilà ce que ça fait d’avoir le nez collé sur le patrimoine : on finit par en perdre les notions de protection les plus élémentair­es. Au suivant !

Montréal vient donc de perdre une parcelle de son identité visuelle au nom du changement et de la modernité. Soupir. À quelques jets de pierre de là, Chambly s’enfonce un peu plus dans le mauvais goût. L’intention de la Ville de «reconstrui­re la maison Boileau» à l’identique après l’avoir donnée en pâture à la pelle mécanique est tombée sous des allures de bonne nouvelle, mais ça n’en est point une.

Il est désolant de constater qu’on s’active davantage autour d’un projet de « faux » qu’autour de l’authentici­té, qui, il y a une semaine à peine, aurait encore valu le coup qu’on se penche dessus, comme l’ont dit des experts au Devoir. Mais pour la maison Boileau, héritage précieux de la période des patriotes, on a préféré le sacre du faux qui, à la mode Las Vegas, finit par devenir plus vrai que le vrai. Cela s’inscrit dans la tendance au « façadisme », cette manie fâcheuse de se donner bonne conscience en conservant la façade d’un lieu chargé d’histoire tout en effectuant derrière une totale remise à neuf.

La nouvelle ministre de la Culture, Nathalie Roy, fait son entrée en poste au moment idéal. Au moment où, dans la population générale, on semble assister à une forme de « réveil » autour de l’importance de protéger le patrimoine — qui ne se limite pas à un crucifix installé à l’Assemblée nationale ! Les histoires de patrimoine en déroute se multiplien­t, et c’est l’occasion idéale de ne plus « réagir » lorsque c’est trop tard, mais bien d’« agir » quand il en est encore temps.

Il faut d’abord prendre acte du fait que les lois, règlements et protection­s mises en place ne suffisent pas à la tâche. Concéder ensuite qu’un registre des biens et lieux à protéger ne rendra personne plus responsabl­e qu’il ne l’est déjà. Et enfin, nommer un commissair­e à la valorisati­on du patrimoine comme gardien convaincu, expert et attentif.

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