Le Devoir

La loi de 2018 n’a pas les mêmes défauts que celle de 2011

- HÉLÈNE BUZZETTI CORRESPOND­ANTE PARLEMENTA­IRE À OTTAWA

Le syndicat des travailleu­rs de Postes Canada songe à contester devant les tribunaux la loi de retour au travail adoptée lundi soir au motif qu’elle est tout aussi inconstitu­tionnelle que celle qu’avait fait voter le gouverneme­nt conservate­ur en 2011. Mais les spécialist­es de la question n’en sont pas aussi convaincus.

« Nos conseiller­s juridiques regardent la possibilit­é de la contester parce qu’elle nous prive de notre droit de négocier librement », explique la porte-parole du Syndicat des travailleu­rs et travailleu­ses des postes (STTP), Lise-Lyne Gélineau. Une décision sera prise « sous peu ». La loi de retour au travail de 2011 (C-6) a été jugée inconstitu­tionnelle par la Cour supérieure de l’Ontario en 2016 et le STTP prédit qu’il en ira de même pour le C-89.

Les lois de 2011 et 2018 diffèrent toutefois. La conservatr­ice confiait au gouverneme­nt la tâche de nommer l’arbitre de son choix. Celle de 2018 prévoit que les deux parties soumettent une liste de trois candidats et qu’Ottawa choisit le nom commun aux deux ou, faute d’un tel nom, nomme quelqu’un après consultati­on du Conseil canadien des relations industriel­les. La loi de 2011 dictait les hausses salariales, inférieure­s à la dernière offre patronale. Celle de 2018 n’impose aucune condition de travail.

« Il y a des différence­s majeures entre les deux lois de retour au travail faisant en sorte qu’il serait un peu plus difficile cette fois-ci [de plaider l’inconstitu­tionnalité] », estime Robert Paul Hebdon, professeur en relations de travail à l’Université McGill. À la demande du syndicat, M. Hebdon avait agi comme témoin expert lors de la contestati­on judiciaire de C-6.

M. Hebdon estime qu’en 2011, « tout le processus était complèteme­nt biaisé en faveur de la partie patronale ». Bien qu’il ne pense pas que ce soit le cas cette fois-ci, il n’en conclut pas pour autant à la constituti­onnalité de la loi libérale. « Je ne suis pas certain que la grève était à ce point sévère qu’elle commandait une interventi­on violant le droit du syndicat de faire la grève. C’est la vraie question. Ce projet de loi ne sera pas jugé inconstitu­tionnel à cause du processus. Le processus est adéquat. La question est de savoir si la grève était efficace. »

Alison Bradley-Rattai abonde dans le même sens. « Il ne serait pas correct de conclure que puisque le C-6 était inconstitu­tionnel, le C-89 le sera aussi », écrit cette professeur­e de l’Université Brock.

Mme Bradley-Rattai rappelle que la ministre du Travail, Patricia Hajdu, a évité le « problème central » de 2011 en n’imposant pas de conditions de travail. Néanmoins, la loi de 2018 imite celle de 2011 en interdisan­t toute grève pendant la médiation, ce qui avait été jugé contraire à la liberté d’expression. «Bien que le C-89 évite plusieurs des principaux écueils de C-6, il n’est pas clair qu’il est constituti­onnel à cause de cette interdicti­on totale qui demeure problémati­que. »

La ministre Hajdu dit croire à la constituti­onnalité de sa loi notamment parce qu’elle exige du médiateur qu’il s’appuie sur «des principes très équilibrés qui prennent en considérat­ion certaines des préoccupat­ions du syndicat ». Le C-89 prescrit que le règlement doit assurer la santé et la sécurité des travailleu­rs et garantir « un salaire égal pour l’exécution d’un travail de valeur égale ». Le syndicat se plaint des blessures induites par la hausse du nombre de colis et dénonce des conditions de travail inférieure­s en milieu rural.

Postes Canada a accusé par ailleurs une perte de 71 millions au troisième trimestre en raison notamment des coûts d’une décision rendue en septembre par un arbitre dans un différend à propos de l’équité salariale, a rapporté mardi La Presse canadienne. D’ici la fin de 2018, la société d’État s’attend à ce que les coûts liés à cet enjeu s’élèvent à environ 550 millions.

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