Connaissez-vous le paléoconservatisme ?
Le professeur Paul Gottfried, inventeur du mot « alt-right », parle du conservatisme à l’ancienne qu’il défend
Le philosophe américain Paul Gottfried est président et fondateur du Mencken Club. Il se définit comme un paléoconservateur. Le Devoir l’a interviewé (en français) avant la conférence qu’il prononçait mercredi à l’invitation du Centre d’études et de recherches internationales de l’UdeM (CERIUM). Comment jugez-vous la présidence de Donald Trump ?
Je dois d’abord souligner que je ne suis pas un défenseur inconditionnel de notre président. En général, je suis satisfait de ses accomplissements économiques. Par contre, j’ai beaucoup de doutes à l’égard de sa sagesse et de sa manière franchement loufoque de se comporter, c’est-à-dire cette façon de se conduire ou d’écrire sur Twitter. Ce n’est pas approprié et ce n’est pas du tout bien seyant. Je dirais donc en résumé que je suis satisfait en général de sa manière de gouverner, mais que je suis en désaccord avec ses manières grossières.
Comment jugez-vous l’état des relations canado-américaines ?
Donald Trump a un rapport rébarbatif avec le Canada, particulièrement avec votre premier ministre. Mais je comprends aussi son positionnement par rapport à l’économie des États-Unis. Il y a un décalage entre les intérêts des États-Unis et du Canada. Je comprends les raisons de son insistance, non pas pour créer de nouvelles barrières au commerce, mais pour égaliser les échanges et forcer les Canadiens à rabattre leurs propres tarifs douaniers. Cela dit, si j’étais Canadien, je m’opposerais à la politique américaine. D’ailleurs, pour la plupart des Américains, les agissements de Trump envers le Canada paraissent ahurissants.
Vous êtes un spécialiste de Carl Schmitt, théoricien allemand qui fait de l’ami-ennemi la dyade fondamentale de la politique. La Chine est-elle devenue l’ennemi principal des États-Unis ?
Le réseautage de la politique américaine n’est pas encore reconfiguré. Le président tente de modifier les rapports avec la Chine et on verra bien si cette option réussira. Pour ce qui est de Schmitt, je dois dire que je publie à foison. J’ai bouclé des écrits sur Carl Schmitt parce que j’ai cru que les États-Unis ne se conduisent pas selon les principes élaborés par ce penseur. Le gouvernement américain est encore motivé par les principes universalistes, par la mission de convertir le monde entier aux principes démocratiques et égalitaires. C’est cette idée de l’Amérique comme lumière rayonnante sur la colline. J’ai pris le contre-pied de cette position. J’ai déniché les idées de Schmitt pour critiquer la politique américaine courante, la position des États-Unis vis-à-vis du reste du monde.
Vous avez forgé le terme paléoconservateur (ou vieux conservateur) pour décrire votre philosophie politique. Vous avez aussi inventé le terme alt-right pour décrire une certaine nouvelle droite. Comment décrivez-vous le trumpisme ?
J’ai inventé ces concepts, c’est vrai. Je suis un paléoconservateur au sens où je milite pour un gouvernement restreint. Je m’oppose aux politiques de manipulation des citoyens. Je m’oppose aussi aux efforts de notre gouvernement de manipuler d’autres gouvernements. Les paléoconservateurs ne sont pas intéressés particulièrement par les questions d’identité ou par le multiculturalisme. La droite alternative est une coalition de différentes positions, y compris des groupes racistes et des trolls. À mon sens, c’est évident que ce mouvement n’a pas su s’organiser. Les groupes qui le composent n’ont pas non plus su remplacer les paléoconservateurs parce qu’ils sont trop chaotiques. Ils sont aussi radicalement antitraditionnalistes, quoi qu’ils en disent. Ils sont pour le mariage gai, par exemple. Donald Trump n’a à peu près rien à voir avec le paléoconservatisme. Les paléoconservateurs ont d’ailleurs été mis au banc des médias conservateurs depuis l’élection de 2016. La plupart des conseillers du président et des commentateurs des médias sont plutôt néoconservateurs.
Ces positions très tranchées et campées à droite s’opposent à des positions très campées à gauche. Les États-Unis pourront-ils atténuer cette division profonde ?
Les positions semblent irréconciliables et c’est un problème majeur maintenant dans mon pays. Les positions sont entremêlées et je ne vois pas comment nous allons nous sortir de cette impasse. Je n’ai aucune idée de la solution qui pourrait émerger des élections de 2020. Je ne veux même pas m’essayer à prédire ce qui pourrait arriver. Je ne crois pas par contre que certaines positions qui émergent à gauche soient meilleures que celles en place actuellement. Je ne sais pas ce qui va arriver. Mais une chose me paraît sûre : la division idéologique du pays est très profonde et les positions opposées semblent irréconciliables.
Je n’ai aucune idée de la solution qui pourrait émerger des élections de 2020. Je ne veux même pas m’essayer à prédire ce qui pourrait arriver. Je ne crois pas par contre que certaines positions qui émergent à gauche soient meilleures que celles en place » actuellement. PAUL GOTTFRIED