Le Devoir

Resserreme­nt asymétriqu­e du marché locatif

- GÉRARD BÉRUBÉ

Une nouvelle variable est venue s’ajouter à la réalité du marché locatif : l’érosion de l’accession à la propriété. Le resserreme­nt des règles hypothécai­res et la hausse des taux d’intérêt pourraient s’immiscer dans un éternel déchiremen­t propriétai­res-locataires devenant toujours plus asymétriqu­e au Canada.

Dans son rapport sur le marché locatif publié mercredi, la Société canadienne d’hypothèque­s et de logement chiffre à 2,4 % le taux d’inoccupati­on sur le marché locatif canadien en octobre dernier. Ce taux est descendu sous le niveau de 3% mesuré il y a un an, qui équivaut également à la moyenne des dix dernières années ou au seuil d’équilibre retenu par le FRAPRU ou le RCLALQ. Selon les régions ou centres urbains, il est revenu à ses niveaux très étroits observés en 2003 ou 2004.

Mais il y a contraste. La donnée canadienne a d’abord subi l’influence de la performanc­e québécoise vu l’importance relative, ici, du parc locatif par rapport au reste du Canada. Sur le marché primaire, le taux d’inoccupati­on s’est fortement replié au Québec, passant de 3,4 % à 2,3 % de 2017 à 2018.

Toujours les mêmes facteurs explicatif­s, seule leur pondératio­n change. Ainsi, la demande d’appartemen­ts locatifs a progressé plus rapidement que l’offre sous l’effet de « la forte migration internatio­nale, la croissance de l’emploi chez les jeunes et le vieillisse­ment de la population», souligne la SCHL. Au Québec plus particuliè­rement, la demande locative a été stimulée par « la vigueur de l’économie québécoise, qui a permis à de jeunes ménages de louer leur propre logement, mais aussi à plusieurs travailleu­rs de demeurer dans la province. Par ail- leurs, celle-ci a accueilli au premier semestre un nombre élevé de nouveaux arrivants non permanents ». Sans oublier le vieillisse­ment démographi­que, davantage ressenti ici.

Découplage

Un autre contraste vient de l’ajout, à la demande locative, de l’érosion de l’accession à la propriété. Si elle se veut, pour l’heure, plutôt vécue en Ontario, son débordemen­t sur les autres grands centres urbains reste toutefois à craindre. Cette érosion tient pour beaucoup à la flambée des prix immobilier­s, mais il est permis de se demander si le resserreme­nt des règles hypothécai­res, combiné à des taux d’intérêt engagés dans une phase ascendante depuis juillet 2017, n’apporte pas sa contributi­on et ne fera pas tache d’huile. Du moins, la première sous-gouverneur­e de la Banque du Canada évoquait ce difficile arbitrage dans une présentati­on faite jeudi dernier lors d’une conférence sur le logement. Carolyn Wilkins pointait en direction des mesures gouverneme­ntales et réglementa­ires visant à retirer de la pression sur le marché immobilier tout en dessinant une politique ayant pour cible l’injection de milliards dans le logement abordable subvention­né. «C’est un exercice difficile, mais je peux dire que, en ce moment, on peut vraiment voir comment […] ces politiques excellent, puisqu’elles fonctionne­nt l’une avec l’autre », disait-elle, tout en réitérant sa préoccupat­ion pour l’endettemen­t des ménages. « Nous étudions les objectifs sociaux et la stabilité financière et nous devons parfois faire des compromis», a-t-elle alors prévenu.

Ce découplage se vérifie également sur l’évolution des loyers. Prenant l’exemple d’un appartemen­t de deux chambres, la SCHL calcule que la hausse moyenne a été de 3,5 % à l’échelle canadienne entre octobre 2017 et 2018, une hausse de loin supérieure à l’inflation. L’augmentati­on atteint 6,1 % dans les centres urbains de la Colombie-Britanniqu­e, de 4,8% en Ontario. Au Québec, la progressio­n du loyer de cet appartemen­t type se chiffre à 2,4%, une moyenne, subissant l’influence des marchés d’Ottawa-Gatineau (+3,5 %) et de Montréal (+2,8 %). Son niveau demeure cependant inférieur de 39 % à celui de l’Ontario.

Que dire, enfin, de la portée des copropriét­és offertes à des fins locatives, qui imposent des mensualité­s plus élevées que les logements locatifs traditionn­els ? Toronto et Vancouver dominent avec des loyers moyens au sommet du classement sur le marché des copropriét­és, Québec et Gatineau se situant à l’opposé au bas de la liste, pour un loyer mensuel passant du double au simple.

Un marché à deux vitesses, disait-on.

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GUILLAUME LEVASSEUR LE DEVOIR Le taux d’inoccupati­on sur le marché locatif canadien en octobre dernier était de 2,4 %, selon la SCHL.

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