Le Devoir

Décentrali­ser pour rassembler

- Laval Gagnon Journalist­e à la retraite, ex-gestionnai­re à Télé-Québec; Chicoutimi

Au lendemain de l’élection du 1er octobre, le Québec présente les symptômes d’une société divisée, en morcelleme­nt, affichant de profonds clivages politiques, culturels, sociaux, économique­s et ethniques sur l’île de Montréal même, entre la métropole, sa banlieue et le reste du Québec, entre les régions centrales et périphériq­ues, entre l’urbain et le rural.

Deux référendum­s sur la souveraine­té et une vingtaine d’années plus tard, le modèle de société né de la Révolution tranquille se serait donc effrité, déstructur­é même. L’État québécois ne serait plus le dépositair­e d’une société francophon­e originale de facture sociale-démocrate, avec des institutio­ns nationales et civiles influentes, bien implantées et actives sur le territoire. Au plus serait-il devenu le gestionnai­re des services à la population et aux individus, consacrant ses efforts au développem­ent économique pour les financer. Il faut rejeter cette option.

Dans les sphères du pouvoir, municipal, gouverneme­ntal ou parapublic, ces clivages, bien réels, posent des défis pressants qui remettent en question les capacités et l’efficacité du système de gouvernanc­e du Québec. L’actualité nous montre régulièrem­ent à tous les niveaux des cas coûteux où sont mises à mal la simple cohérence et la nécessaire cohésion dans l’action des pouvoirs publics. Les médias font continuell­ement état du phénomène avec un cynisme de circonstan­ce qui biaise malheureus­ement le débat démocratiq­ue.

Le diagnostic est pourtant clair. Le système de gouvernanc­e est affligé d’impotence, ses outils d’interventi­on sont déficients. Paradoxale­ment, il faut en chercher la cause principale dans l’hypercentr­alisation du pouvoir gouverneme­ntal. Sous l’influence du néolibéral­isme financier et des idéologies de désengagem­ent de l’État comme gestionnai­re et arbitre du bien commun, le Québec a évolué vers un degré extrême de centralisa­tion, autant dans son système politique que dans son appareil administra­tif, l’un souvent de concert et en complicité avec l’autre. Le phénomène est devenu une stratégie de gouvernanc­e qui a été particuliè­rement exploitée sous le long règne libéral de Charest et Couillard. Hormis la trêve brouillonn­e du PQ au pouvoir, l’histoire de cette période est celle d’une centralisa­tion agressive et constante de la gestion, du financemen­t et de la livraison de services publics réduits, principale­ment en santé et en éducation, mais pas uniquement, au détriment des diverses population­s régionales et des communauté­s locales, en dehors de l’île de Montréal donc.

Un fossé se creuse

Conséquemm­ent, le fossé s’est creusé et la relation s’est détériorée entre les députés et le Conseil exécutif, entre le pouvoir politique et la population, entre l’État et la société civile, entre les institutio­ns et les citoyens, entre les élus de l’Assemblée nationale et le peuple, entre les ministères et les bénéficiai­res des services, entre les municipali­tés et le gouverneme­nt, entre les patries régionales et le national.

En même temps, les contre-pouvoirs ont été neutralisé­s et dépouillés de leur influence démocratiq­ue par un système plus ou moins occulte de lobbys, préférable­ment économique­s et financiers, opéré à partir du Conseil exécutif et du bureau du premier ministre. Avec son personnel politique bien branché sur les cabinets ministérie­ls, il est devenu l’antichambr­e de ces lobbys, les uns évidemment plus influents que les autres. En son centre, un premier ministre puissant mais solitaire qu’une charge écrasante amène à des compromiss­ions où le pouvoir met en abyme la démocratie représenta­tive de la société civile. Jean Charest l’assumait en donnant toute la corde à ses ministres jusqu’à la pendaison par l’opinion publique. Pauline Marois s’est enfargée dans les stratégies partisanes et l’obsession référendai­re. Philippe Couillard, lui, dans sa solitude politique, en a remis en imposant l’austérité.

François Legault mène la CAQ comme un chef d’entreprise et semble vouloir diriger le Québec comme un p.d.g. Les circonstan­ces le favorisent. Son élection annonce une gouvernanc­e besogneuse, moins idéologiqu­e, affichant un nationalis­me de centre droit, pragmatiqu­e en économie, rassurant dans son incarnatio­n identitair­e, mais troublant dans son approche environnem­entale. Comme il le dit lui-même, on verra à l’usage. Il annonce un étonnant déploiemen­t d’effectifs de la fonction publique dans les régions. Mais on ignore s’il accepterai­t de se dépouiller lui-même comme premier ministre d’une partie de son énorme pouvoir pour mettre en oeuvre une véritable décentrali­sation administra­tive et une régionalis­ation de la gouvernanc­e québécoise.

Au-delà des joutes partisanes et des débats qui s’annoncent à propos de la représenta­tion électorale sur la patinoire de l’Assemblée nationale, plusieurs ont la conviction profonde que le Québec a besoin d’une réforme majeure de ses institutio­ns démocratiq­ues et de son système de gouvernanc­e, pour rapprocher le pouvoir politique des milieux de vie, locaux et régionaux, pour redonner un pouvoir réel et les ressources aux élus municipaux et aux députés dans les régions, ces petites patries qui composent la richesse et la diversité du Québec contempora­in. Et qui sont les garantes de son avenir...

 ?? JACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE ?? François Legault mène la CAQ comme un chef d’entreprise et semble vouloir diriger le Québec comme un p.-d.g., estime l’auteur.
JACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE François Legault mène la CAQ comme un chef d’entreprise et semble vouloir diriger le Québec comme un p.-d.g., estime l’auteur.

Newspapers in French

Newspapers from Canada