Le Devoir

Mémoire vivante

La maison d’édition Le Lièvre de Mars remet à l’honneur des textes jeunesse fondateurs

- MARIE FRADETTE COLLABORAT­RICE LE DEVOIR

Avec émoi, enthousias­me et une volonté d’investir dans le souvenir, l’auteure et éditrice Nadine Robert s’adonne à un véritable travail de recherche pour retrouver, dépoussiér­er et faire revivre des albums issus du patrimoine mondial qui ont, jadis, connu de beaux jours. Portant le nom du célèbre lapin de Lewis Carroll, Le Lièvre de Mars est une toute petite maison d’édition fondée en janvier 2018 et dans laquelle cette éditrice — qui est aussi à la tête de Comme des géants — fouille les archives à la découverte de petites perles qui n’ont pas connu de réédition depuis plus de 80 ans, faute bien souvent de rentabilit­é.

« Je crois que ces oeuvres-là sont encore légitimes artistique­ment. Et c’est dommage d’en voir autant abandonnée­s», raconte Nadine Robert dans une entrevue accordée au Devoir. L’intérêt pour les vieux livres jeunesse se double chez elle d’une véritable mission qui est de faire connaître un patrimoine culturel et de le garder vivant. «Il y a ce désir de décloisonn­er des oeuvres, mais aussi un désir de mémoire qui accompagne tout ça. Je veux faire connaître des oeuvres importante­s ou des auteurs que je juge incontourn­ables. Mon but, c’est vraiment plus de garder des oeuvres vivantes le plus longtemps possible. »

Effectivem­ent, l’aspect lucratif n’est pas du tout l’objectif de l’auteure de Peter le chat debout. Bien qu’elle ne soit pas la seule à croire en cette mission, Nadine Robert constate que les lecteurs restent un peu frileux devant ces «vieillerie­s». «En fait, les libraires adhèrent, mais quand on dit que c’est un livre des années 1950, par exemple, le consommate­ur, lui, est plus rébarbatif. Il croit peut-être que ce sera suranné. Il n’est pas aussi facile de défendre ce catalogue-là que la nouveauté. »

Cependant, remettre à l’honneur un vieil ouvrage oublié en fait inévitable­ment une curiosité: «En effet, et il y a toujours de nouveaux lecteurs, de nouveaux enfants, alors pour eux, que ce soit un titre des années 1970 ou des années 1950, ça reste nouveau. C’est comme une seconde vie que je donne à certains titres.»

Si elle conserve les textes d’origine, la propositio­n graphique des oeuvres sélectionn­ées, pour sa part, n’est pas toujours conser vée. « Graphiquem­ent, il y a des trucs qui vieillisse­nt moins bien et je suis sensible à ça. Quand j’arrive à dater l’illustrati­on d’un livre, ce n’est pas bon, parce que ça témoigne d’une mode.» Consciente qu’elle est aussi perméable aux courants à la mode, l’éditrice avoue que ses choix en sont inconsciem­ment orientés, guidés.

S’ouvrir sur le monde

«Il y a, par exemple, un engouement pour Tove Jansson depuis un certain temps. Son style est très moderne, très avant-gardiste pour son époque. Et il y a un retour à cette illustrati­on en aplat qui simule de vieilles techniques d’impression où il y a une juxtaposit­ion des couleurs. Dans l’art visuel, il y a des cycles, des choses reviennent à la mode. Je pense qu’il y a de ça aussi un peu quand je fais mes choix. Ça s’explique difficilem­ent. C’est un peu de l’instinct aussi. On est influencé par toutes sortes de courants, de modes. »

Si quelques oeuvres sont choisies d’abord parce qu’elles faisaient partie de la bibliothèq­ue personnell­e de l’auteure, cette dernière ne cesse de faire de nouvelles découverte­s dans le patrimoine mondial. Mais, comme Le lièvre de Mars ne publie que quatre titres par année, le choix des oeuvres doit reposer sur certains critères.

«C’est important, en fait, d’équilibrer le tout, qu’il y ait du conte, des incontourn­ables… J’essaie aussi beaucoup de diversifie­r les provenance­s. En ce moment, par exemple, je fais des recherches pour inclure un classique québécois. L’année prochaine, il y aura un livre américain, un anglais (Béatrix Potter), un danois, et je suis à finaliser un projet concernant un auteur japonais, pas connu ici, mais que tous les Japonais connaissen­t. »

Il y a chez Nadine Robert une réelle volonté de faire un tour du monde, d’offrir un corpus très varié: «Culturelle­ment, je vois ça comme jeter des ponts. Quand tu développes des relations avec des éditeurs étrangers, ils s’intéressen­t aussi à ce qu’on fait. Derrière les ventes de droits, il y a un aspect humain important. On est enthousias­tes et on veut partager. Il y a tellement d’auteurs qui ne sont pas encore connus. C’est un monde infini. On dirait que je participe à quelque chose. Des fois je me sens comme si je faisais de la curation d’exposition­s. Je me fais aussi beaucoup plaisir. »

Dans cette volonté de rejoindre les lecteurs, de leur faire découvrir la littératur­e mondiale — et de faire découvrir la nôtre —, Nadine Robert est très soucieuse de la qualité graphique des ouvrages qu’elle publie. Elle s’amuse aussi à défier des illustrate­urs et leur demande parfois de revoir le conte, la fable, l’histoire dans une perspectiv­e contempora­ine. Les fables de La Fontaine illustrées par Jean Jullien ? Tout est possible !

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Une illustrati­on tirée de Qui rassurera Truffe ?TOVE JANSSON
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 ?? MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR ?? Nadine Robert fouille les archives à la découverte de perles qui n’ont pas été rééditées depuis plus de 80 ans.
MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR Nadine Robert fouille les archives à la découverte de perles qui n’ont pas été rééditées depuis plus de 80 ans.

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