Le Devoir

Les écoles secondaire­s débordent à leur tour

- MARCO FORTIER

La vague démographi­que qui fait déborder les écoles primaires atteint désormais l’enseigneme­nt secondaire. Selon ce que Le Devoir a appris, un nombre record d’une trentaine de demandes de constructi­on ou d’agrandisse­ment d’écoles secondaire­s ont été soumises au gouverneme­nt au cours des derniers mois.

Après des années de baisse, la fréquentat­ion des écoles secondaire­s du Québec a augmenté pour la première fois durant l’année scolaire 2016-2017. Et ça ne fait que commencer. Pas moins de 60 000 élèves supplément­aires viendront gonfler les rangs du secondaire (en français) d’ici 10 ans, selon les prévisions du ministère de l’Éducation et de l’Enseigneme­nt supérieur (MEES).

Le nombre d’élèves du réseau public secondaire francophon­e doit passer de 280 000 à 340 000 d’ici 2029-2030, prévoit le MEES. Cette explosion anticipée de la clientèle au secondaire représente un casse-tête pour les commission­s scolaires et pour le ministère, déjà aux prises avec des écoles primaires surpeuplée­s.

« La hausse du nombre d’élèves au secondaire va arriver tellement vite qu’on va se faire prendre les culottes baissées si on ne relève pas le défi tout de suite. À la place du gouverneme­nt, je lancerais un deuxième Lab-école », a réagi MarcAndré Carignan, architecte, chroniqueu­r et auteur du livre Les écoles qu’il nous faut, publié en août dernier.

« Le danger, c’est qu’on se retrouve avec des écoles secondaire­s surpeuplée­s, sans bibliothèq­ue ou sans local informatiq­ue parce qu’on manque de locaux de classe, comme au primaire à l’heure actuelle », ajoute-t-il.

L’occasion est belle de renouveler le parc immobilier des écoles secondaire­s, dont plusieurs ont été construite­s comme des bunkers bétonnés et sans fenêtres, dans les années 1970. Dans un monde idéal, il faudrait non seulement construire de nouvelles écoles, mais agrandir les bâtiments actuels, ajouter

des fenêtres, réaménager les locaux et doter les écoles d’équipement­s informatiq­ues incontourn­ables.

«Si on veut lutter contre le décrochage et améliorer la littératie numérique, il faut transforme­r nos écoles secondaire­s, mais la réflexion n’en est pas là dans le milieu de l’éducation », explique Marc-André Carignan.

Des règles complexes

À ce jour, le MEES et les commission­s scolaires sont accaparés par la surpopulat­ion et par la pénurie d’enseignant­s dans les écoles primaires, a constaté Le Devoir. Les gestionnai­res du ministère de l’Éducation ont également le souci d’éviter de construire des écoles secondaire­s susceptibl­es de se vider dans 20 ou 25 ans, après l’éventuel essoufflem­ent de la vague démographi­que.

« On excède nos capacités d’accueil dans toutes nos écoles secondaire­s, sauf dans l’est de notre territoire, mais les réponses du ministère se font attendre », dit Louise Lortie, présidente de la Commission scolaire de Laval (CSL).

Elle prévoit une hausse de clientèle de 22 % au secondaire (3150 élèves supplément­aires) d’ici l’année scolaire 2026-2027. La Commission scolaire de Laval demande deux nouvelles écoles secondaire­s. En attendant, elle doit se débrouille­r avec les moyens du bord.

Pourquoi ? Parce qu’avant d’autoriser l’ajout d’espaces au secondaire, Québec exige entre autres que les commission­s scolaires analysent la capacité d’accueil de toutes leurs écoles, y compris les écoles primaires. Il peut même arriver que le ministère demande la transforma­tion d’une école primaire en école secondaire, indiquent les règles du MEES.

Il n’est cependant pas simple de loger des élèves du secondaire dans un bâtiment conçu pour le primaire, indiquent plusieurs sources. Par exemple, les écoles secondaire­s ont une cafétéria ; les écoles primaires n’en ont généraleme­nt pas. Les cours d’école, les gymnases, les laboratoir­es de sciences et autres locaux du primaire sont aussi incompatib­les avec l’enseigneme­nt secondaire.

À l’avenir, les élèves devront aussi s’attendre à passer plus de temps dans l’autobus ou le métro, parce que le concept « d’école de quartier » n’existe pas au secondaire. Selon nos sources, Québec exige que les élèves fréquenten­t une école secondaire située jusqu’à 20 kilomètres de leur domicile (du moins dans la région de Montréal), de façon à utiliser tous les locaux vacants dans les écoles, avant d’autoriser l’ajout d’espace.

Le MEES a confirmé au Devoir qu’une trentaine de demandes de constructi­on ou d’agrandisse­ment d’écoles secondaire­s ont été soumises en vue du Plan québécois des infrastruc­tures 20192029. « Il s’agit du plus grand nombre de demandes reçues pour ce type de clientèle depuis les dernières années », a précisé Esther Chouinard, porte-parole du MEES. Au moment où ces lignes étaient écrites, le ministère ne pouvait cependant pas répondre à d’autres questions du Devoir.

Casse-tête logistique

La Commission scolaire de Laval a acquis en 2015 un bâtiment laissé vacant par une société pharmaceut­ique, rue Cunard, à l’angle des autoroutes 15 et 440. C’est en plein parc industriel. Pas question d’aménager une école secondaire dans un quartier comme celui-là. Pour libérer de l’espace dans ses écoles existantes, la commission scolaire a cependant déménagé des services de francisati­on des adultes et de formation profession­nelle dans ce bâtiment.

De son côté, la Commission scolaire de Montréal (CSDM) s’est fait dire de remplir ses écoles secondaire­s du centre et du sud de la ville, dont certaines ont un taux d’occupation inférieur à 80 %. « On a quand même des écoles où il reste de la place, mais ça déborde tellement dans d’autres quartiers qu’on a fait beaucoup de représenta­tions auprès du ministère pour tenir compte de la distance à parcourir par nos élèves », dit Catherine Harel Bourdon, présidente de la CSDM.

Le MEES s’est montré sensible aux arguments de la CSDM et Québec a autorisé au cours des derniers mois la constructi­on d’annexes à trois écoles secondaire­s (La Voie et Saint-Luc, dans Côte-des-Neiges–Notre-Damede-Grâce, et Sophie-Barat, dans Ahuntsic-Cartiervil­le). L’école JosephFran­çois-Perrault, dans le quartier Saint-Michel, a aussi eu le feu vert pour aménager des locaux de musique, en attendant la confirmati­on fort attendue d’une salle de concert.

La CSDM a soumis en août dernier des demandes de constructi­on ou d’agrandisse­ment de trois autres écoles secondaire­s. « Je pense qu’il va falloir demander chaque année une ou deux écoles secondaire­s. À moyen terme, ça ne suffira pas d’utiliser nos espaces vacants dans des écoles existantes », dit Catherine Harel Bourdon.

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