Le Devoir

Faire école

-

Vous semblez tous vous être donné le mot, chers lecteurs, pour me faire part des couleurs de vos humeurs. J’ai plaisir à vous lire. Toujours. Mais c’est à croire que vous prenez, ces jours-ci du moins, les mots de cette chronique pour une rivière propre à noyer le trop-plein de vos chagrins. On peut bien rêver d’un monde meilleur, mais ce ne doit pas être qu’un rêve. «Just Singing a Song Won’t Change the World », rappelle (dans une chanson) Neil Young.

Sans être pour autant à son diapason, convenons que François Legault a raison lorsqu’il dit que « c’est par l’éducation que le Québec a réussi à rattraper son retard, dans les années 1960 ». On pourrait cependant disputer le fait que tout le retard, consécutif à des décennies de laxisme, a été comblé depuis.

Le nouveau premier ministre, nationalis­te à l’ancienne, un peu prompt, selon les canons du genre, à se péter les bretelles, promet d’augmenter, année après année, le financemen­t de l’éducation. Oui, mais à quel point ?

Le niveau d’éducation ne saurait progresser dans la durée si pour cela on se contente d’indexer son financemen­t en fonction du coût de la vie ou encore si les investisse­ments sont faits par à-coups. Cette dernière stratégie dite du

« stop and go », pratiquée allégremen­t par les libéraux, confine au fiasco.

M. Legault parle d’audace. Le mot lui revient sans cesse à la bouche. Répété à satiété, ce leitmotiv ressemble à une demande à peine voilée pour exiger des enseignant­s qu’ils déchirent encore leur chemise pour vêtir ceux que ce système sous-financé a laissés nus.

Les enseignant­s ne s’y sont pas trompés, suspectant d’emblée le nouveau premier ministre de fonder son élan sur les freins qui leur sont imposés.

Curieuseme­nt, le thème de la culture, corollaire à celui de l’éducation, a été pratiqueme­nt occulté du discours d’ouverture de cette nouvelle législatur­e. La culture représente « l’âme d’un peuple », quelque chose qui « nous rend fiers », lance en l’air François Legault. Mais sur cet « important moteur économique », pas le début d’une pensée structurée. Rien sur la relation du système social québécois avec la distributi­on effective des connaissan­ces, des idées, des sensibilit­és, de la culture. Cela ne va pas plus loin, hélas, que ce discours affecté, tenu en août dernier, dans une capsule électorale intitulée « L’importance de la culture ». François Legault y disait tout au plus que, « grâce aux arts, la vie est plus belle ». Dans cet horizon pour le moins limité de ce que sont les arts, le chef de la CAQ concluait, dans une phrase alambiquée, qu’« il y a une responsabi­lité de permettre à tous les jeunes de trouver des manières d’apprécier le bonheur que ça peut amener, la culture ». Mais encore ?

Au-delà de ces ballons avec lesquels François Legault tente péniblemen­t de jongler, il y a en éducation des problèmes précis à régler. Je n’en nommerai aujourd’hui qu’un seul, majeur, fondamenta­l : celui de l’accès aux écoles, particuliè­rement dans un coeur urbain comme Montréal. Les écoles débordent, sans parler du fait qu’elles sont en fort mauvais état.

Ce trop-plein est sans cesse déversé plus loin, là où le niveau est pourtant déjà à ras bord. À Montréal et dans son pourtour immédiat, nombre d’élèves se retrouvent ainsi ballottés dans des écoles que l’on substitue tant bien que mal à la leur. Alors que l’augmentati­on du nombre d’élèves devrait être envisagée comme une promesse d’avenir meilleur, elle est vécue, faute de planificat­ion et de sens de l’action, sous forme de catastroph­e.

Pourquoi ? Les terrains pour construire des écoles sont devenus aussi rares que chers. La CSDM a presque tout à fait épuisé ses ressources en la matière, lesquelles n’ont été d’ailleurs, depuis bien des années, que le fait de prélèvemen­ts sur ses maigres réserves de pain sec et d’eau claire.

Pendant ce temps, les discours pleins d’élans sur la nécessité de faire des efforts et des sacrifices en éducation rendent peu compte de ce problème premier qui est celui de la brique et du mortier.

Que faire ? Certes, il n’est pas courant d’aller jusqu’à exproprier pour construire des écoles. Et pourtant, on le fait volontiers pour construire le REM, comme si c’était celui-ci le vrai train de l’avenir !

La Ville de Montréal n’a pas à proprement parler à financer les acquisitio­ns d’une commission scolaire, même si, bien sûr, elle y trouve son intérêt. De son côté, l’État québécois, si on en juge par la vente récente des terrains de l’ancien Hôpital pour enfants de l’arrondisse­ment Ville-Marie à un promoteur, ne semble pas se soucier de la priorité à accorder à la constructi­on d’écoles. Ainsi le ministère de la Santé a vendu tout bonnement son terrain au plus offrant, sans penser plus loin que le bout de son nez. De son côté, la Municipali­té n’a pas cru bon de faire alliance avec la commission scolaire en exigeant le fractionne­ment de l’emplacemen­t. À quand des projets immobilier­s où l’école ne sera pas piétinée par des logements à cheval les uns sur les autres ?

Il faudrait être créatif. Pourquoi ne pas enfin apprendre à recycler élégamment des bâtiments ? L’ancien hôpital de la Miséricord­e par exemple, dans le Centre-Sud. Ces murs ont beau suinter la douleur de génération­s de filles-mères, ils pourraient faire le bonheur scolaire de tout un quartier.

On peut bien rêver d’un système d’éducation meilleur. Mais, comme pour tout le reste, ce ne doit pas être qu’un rêve. Nous avons vite besoin d’écoles. Très vite.

On peut bien rêver d’un système d’éducation meilleur. Mais, comme pour tout le reste, ce ne doit pas être qu’un rêve. Nous avons vite besoin d’écoles. Très vite.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada