Le Devoir

La destructio­n sauvage de la maison Boileau ne doit pas avoir été vaine

- YVES LACOURCIÈR­E Ingénieur civil, ethnologue et auteur de l’ouvrage Accusé de non-assistance à patrimoine en danger (à compte d’auteur)

Ça devait arriver. Des études financées par l’État et les nombreuses destructio­ns et mutilation­s touchant le patrimoine bâti rapportées semaine après semaine par les médias montrent l’échec de l’État à remplir sa mission de le transmettr­e aux génération­s qui nous suivent.

Le ministère de la Culture et des Communicat­ions, titulaire de notre responsabi­lité collective de maintenir le visage de notre culture et d’assurer sa pérennité, continue depuis 25 ans à nier son échec, même devant l’insuffisan­ce des résultats obtenus. Tous les mauvais comporteme­nts reprochés au ministère et aux municipali­tés, particuliè­rement depuis plus de deux décennies, se sont conjugués dans ce cas de figure qu’est la maison Boileau pour former la catastroph­e parfaite : la destructio­n par ordonnance de l’État d’un des plus emblématiq­ues de nos monuments historique­s.

D’abord, au niveau national. Comment peut-il être qu’un bâtiment de cette importance, tant d’un point de vue patrimonia­l qu’historique, n’ait pas été classé au plus haut niveau par la Direction générale du patrimoine du ministère ? Comment tant de démarches bénévoles depuis tant d’années ont-elles pu être rejetées ? Cela est difficile à comprendre sans imaginer un aveuglemen­t budgétaire.

Ensuite, le niveau municipal. À Chambly, la Ville était propriétai­re de ce bâtiment historique qu’elle a laissé se dégrader, alors qu’elle aurait dû le considérer comme un de ses actifs les plus précieux. Elle dit avoir demandé des expertises, qui auraient conclu que la dégradatio­n du bâtiment était irréversib­le, qu’il n’y avait rien à faire d’autre que de le démolir en raison de « l’extrême dangerosit­é du lieu ». L’expérience nous apprend qu’il est toujours possible de redonner en grande partie vie à un bâti ancien, peu importe le manque de soin. Ceux qui ont livré cette «expertise» n’avaient vraisembla­blement pas la compétence pour statuer sur la vie ou la mort de ce trésor national. « Qui veut noyer son chien dit qu’il a la rage», dit l’adage. […]

Qui plus est, ce geste intolérabl­e de destructio­n irréversib­le fut réalisé en catimini, sans que personne ait été informé. Y a-t-il eu un permis de délivré ? Y a-t-il eu des mandats de donnés? Toute cette façon de faire nous semble aller plus bas que la simple incompéten­ce. Les propriétai­res et les promoteurs utilisent souvent la manoeuvre de favoriser la dégradatio­n de bâtiments historique­s afin d’obtenir le précieux permis de démolition qui leur libérera le terrain sur lequel ils veulent construire. Ce qui était depuis le début le but premier de l’acquisitio­n du bien immobilier.

L’épopée d’un héros qui a donné sa vie à sa nation ne peut se terminer avec la fin pitoyable qu’a réservée la municipali­té de Chambly au bâti qui rappelait son souvenir. Nous devons faire en sorte que la fin inqualifia­ble de ce monument historique parmi les plus précieux de notre héritage national soit le dernier d’une longue lignée à tomber de façon irréversib­le sous le pic du démolisseu­r. Le bâti traditionn­el n’est pas une richesse renouvelab­le. La fin de la maison Boileau doit nous amener à décider collective­ment, une fois pour toutes, que pareil désastre ne se reproduira plus jamais au Québec.

L’État du Québec est maintenant dirigé par un gouverneme­nt qui a érigé l’identitair­e national au niveau d’un principe d’action. Or, le patrimoine bâti est, après la langue, l’élément le plus important de notre ADN culturel. Les premières réactions de la ministre Nathalie Roy au geste intolérabl­e de la mairie de Chambly permettent d’espérer que le nouveau gouverneme­nt entend appliquer des correctifs aux façons de faire de ceux qui l’ont précédé en matière de sauvegarde du patrimoine bâti.

Nous invitons tous ceux qui ont été témoins de la destructio­n, de la mutilation ou de l’abandon d’un bâti traditionn­el, à communique­r leurs témoignage­s à la ministre de la Culture sous le titre : Plus jamais au Québec.

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