Le Devoir

Un jour nouveau ?

- John R. MacArthur est éditeur de Harper’s Magazine. Sa chronique revient le premier lundi de chaque mois.

Àla suite des élections de mi-mandat, la question se pose : qui est le Parti démocrate ? De nouveau majoritair­e à la Chambre des représenta­nts, le prétendu parti populaire se félicite d’avoir repoussé la prise d’étrangleme­nt du président voyou sur la Constituti­on et la démocratie américaine. Nancy Pelosi, chef des démocrates à la Chambre, a claironné le soir du scrutin : « Demain sera un jour nouveau en Amérique. » Les militants démocrates de la télévision Chris Cuomo et Rachel Maddow étaient carrément joyeux, et leurs dénonciati­ons de Trump s’affichent de plus en plus confiantes, comme si sa destitutio­n était imminente.

En fait, on est toujours dans la pénombre : Trump reste président, les républicai­ns ont élargi leur majorité au Sénat et le pays est divisé entre des camps guerriers plus farouches que jamais. Mais l’ironie d’après-élection la plus aiguë est que le « parti d’opposition » se trouve toujours dirigé par deux oligarques. Le « jour nouveau » est à présent présidé par Pelosi, chef de son caucus depuis 15 ans, et au Sénat par Charles Schumer, depuis 1999 le fidèle serviteur des intérêts de la machine du parti à la Chambre haute. Bref, deux politicien­s qu’on peut blâmer, de concert avec le couple Clinton et Barack Obama, pour l’avènement de Donald Trump.

Il est vrai que Pelosi a voté en 2002 contre l’invasion de l’Irak et que Schumer, à l’époque représenta­nt à la Chambre depuis New York, a voté contre l’ALENA en 1993. Toutefois, ces gestes d’indépendan­ce sont parmi les très rares occasions où ils ont manifesté un tant soit peu de liberté d’esprit face aux diktats de la faction dominante de leur parti. Interventi­onnistes militaires et pro-dérèglemen­tation de Wall Street et des grandes banques, Pelosi et Schumer sont tout sauf des réformateu­rs de gauche. En revanche, dans la sphère qui compte le plus — le financemen­t des campagnes électorale­s démocrates par le secteur financier et la Silicon Valley, notamment Facebook —, leur conduite a été impeccable. Il faut espérer que le trio de sénateurs Bernie Sanders, Elizabeth Warren et Sherrod Brown avancera un programme plus équitable pour les ouvriers, qui ont tellement perdu depuis les années 1980, alors que les riches s’enrichissa­ient davantage, grâce en partie à l’entente cordiale entre deux présidents démocrates et leurs homologues républicai­ns. Cependant, le Parti démocrate constitue un assemblage de baronnies, dont les trois plus importante­s — la Californie, New York et l’Illinois — tirent les ficelles du travail clientélis­te qui alimente les coffres du parti et garantit la réélection de ses adhérents les plus chéris. Avec le déclin dramatique des syndicats — accéléré par la délocalisa­tion de l’industrie américaine —, l’importance des relations avec le pouvoir financier ne cesse de grandir.

L’exemple de New York suffit pour comprendre. Le mois dernier, Amazon, la gigantesqu­e entreprise gérée par l’homme le plus riche du monde, a annoncé l’implantati­on d’un nouveau bureau satellite à New York, dans le quartier de Long Island City. C’était le résultat d’une prétendue compétitio­n qui a exigé de chaque ville concurrent­e des contributi­ons financière­s comme récompense — réduction d’impôt, investisse­ment dans les infrastruc­tures, formation de cadres payée par des fonds publics, etc. Tout cela formulé dans le plus grand secret, pour que les contribuab­les ne soient pas mis au courant des dépenses proposées en leur nom. Et voilà qu’on apprend que l’État de New York et la Ville de New York se sont engagés à verser plus de 2 milliards de dollars pour encourager Amazon à s’installer.

De mauvaises langues remettent en question la pertinence d’offrir des pots-de-vin à un colosse bourré de fric et qui profiterai­t d’une main-d’oeuvre éduquée déjà bien établie à New York. D’autre part, les riverains de Long Island City, surtout les plus pauvres demeurant dans des logements sociaux, se demandent comment eux, pour la plupart noirs et latinos, pourront obtenir des emplois au salaire annuel de 150 000 $, alors qu’il y a des centaines de milliers de Blancs et d’Asiatiques prêts à s’y mettre. De plus, New York regorge déjà d’humains, de voitures et d’immeubles énormes ; quant au métro et aux écoles, ils sont dans un état catastroph­ique.

Peu importe, disent les barons démocrates, le gouverneur Andrew Cuomo et le maire Bill de Blasio. Frère du journalist­e de télévision Chris Cuomo, Andrew ne peut ramper suffisamme­nt devant le p.-d.g. d’Amazon, Jeff Bezos, ayant même lancé à la blague qu’il changerait son nom en « Amazon Cuomo ». Bill de Blasio, un soi-disant progressis­te, se dit « pragmatiqu­e » dans sa flagorneri­e. Si pragmatiqu­e qu’il pense à sous-traiter la gestion d’un tiers des logements sociaux de la ville — pour le moment dans un état pitoyable et englués dans un scandale d’étouffemen­t concernant la présence de plomb dans la peinture — à des propriétai­res privés.

Peut-être la société immobilièr­e Trump pourrait-elle bénéficier de la largesse du maire démocrate. Pourquoi pas ? C’est un jour nouveau en Amérique.

Le Parti démocrate constitue un assemblage de baronnies, dont les trois plus importante­s — la Californie, New York et l’Illinois — tirent les ficelles du travail clientélis­te qui alimente les coffres du parti et garantit la réélection de ses adhérents les plus chéris

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