Le Devoir

Dur lendemain d’émeutes

Pendant qu’Emmanuel Macron reste muet, le pays s’interroge sur les violences incontrôlé­es de samedi à Paris

- CHRISTIAN RIOUX CORRESPOND­ANT À PARIS

Comment a-t-on pu en arriver là? La question était sur toutes les lèvres au lendemain d’une journée d’émeute qui a fait 133 blessés à Paris et entraîné plus de 400 arrestatio­ns. C’était l’incompréhe­nsion la plus totale alors que, dimanche matin, le président Emmanuel Macron sitôt rentré d’Argentine est allé rencontrer les forces de l’ordre sur l’avenue Kléber, transformé­e en véritable scène de guerre.

Toute la journée, les Français ont d’ailleurs attendu un mot du président, qui n’est pas venu. Celui-ci a présidé une réunion de crise dont pratiqueme­nt rien n’a filtré, sinon que le premier ministre recevra les chefs de partis et que le retour de l’état d’urgence, réclamé par des syndicats de policiers, n’était pas à l’ordre du jour. Selon l’Élysée, Emmanuel Macron aurait simplement souhaité «une adaptation du dispositif du maintien de l’ordre dans les jours à venir ».

À Paris, la plupart des observateu­rs s’entendent cependant pour dire que le président ne pourra pas éviter de s’exprimer cette semaine, alors qu’on n’a pas connu de telles violences en France depuis les émeutes de 2005 qui avaient mis à feu et à sac les banlieues françaises. Toute la journée de samedi, des casseurs, auxquels se mêlaient un certain nombre de «gilets jaunes», ont tenu en haleine plus de 5000 policiers visiblemen­t à bout de forces. Durant 12 heures, les casseurs ont semé la désolation sur les avenues environnan­t les Champs-Élysées, où manifestai­t pourtant une foule pacifique. Pendant que des pilleurs souvent sans vestes jaunes dévalisaie­nt les commerces, des casseurs s’en sont même pris à l’Arc de triomphe où brûle la flamme du soldat inconnu.

« Samedi, on a eu le sentiment d’une espèce de vacance du pouvoir », a déclaré

Samedi, on a eu le sentiment » d’une espèce de vacance du pouvoir

HERVÉ MORIN

au quotidien Le Parisien le centriste Hervé Morin. Celui qui dirige la région Normandie exprimait un sentiment très largement partagé en affirmant que « le président doit parler rapidement » aux Français.

« Mai 68 des classes moyennes »

Marginalis­ée par ce mouvement spontané qui défie les cadres traditionn­els, l’opposition a réagi en rangs dispersés. Les présidents du Rassemblem­ent national, Marine Le Pen, et de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, ont tous deux réclamé des élections législativ­es. Le président des Républicai­ns, Laurent Wauquiez, propose, lui, la tenue d’un référendum sur le plan de transition écologique et les hausses de taxes présentés la semaine dernière.

« Je n’ai jamais vu de ma vie un mouvement soutenu par 84 % des Français », disait sur la chaîne Europe 1 le philosophe Luc Ferry. L’ancien ministre estime que la crise est telle qu’elle justifie la dissolutio­n de l’Assemblée nationale. La France a besoin d’une forme de « cohabitati­on », dit-il, comme elle en a connu à l’époque de François Mitterrand et de Jacques Chirac. Pour l’historien de gauche Jacques Julliard, il s’agit du « Mai 68 des classes moyennes ».

Devant ces violences devenues une constante dans toutes les grandes manifestat­ions parisienne­s, plusieurs montrent du doigt un dispositif policier inadapté face à des groupes de casseurs, dont certains étaient même venus samedi avec des haches, des marteaux et des frondes. « Hier, on était dans une situation où bientôt on pourrait être mis en échec : on s’est retrouvés pendant un laps de temps à court de munitions, ça a été une catastroph­e», a lancé sur France Info un responsabl­e du syndicat Unsa-police.

Discuter, mais avec qui ?

Mardi, le ministre de l’Intérieur devra d’ailleurs s’expliquer devant le Sénat sur les insuffisan­ces du dispositif policier. Chez les policiers, plusieurs voix dénoncent des ordres venus d’en haut surtout destinés à éviter de faire des victimes chez les manifestan­ts, mais qui mettent les policiers dans une situation intenable. Samedi sur BFM-TV, la représente syndicale Linda Kebbab dénonçait ces groupes anarchiste­s, connus pour leur activité de casseurs et qui se donnaient rendez-vous publiqueme­nt sur Twitter pour aller affronter les forces de l’ordre. De nombreux graffitis anarchiste­s ont en effet été retrouvés sur les lieux des affronteme­nts. Selon certains, l’ultradroit­e était aussi présente.

Toute la journée de dimanche, des gilets jaunes, dont le mouvement se poursuit principale­ment en région, ont déploré ces scènes de violence qui font de l’ombre aux centaines de villes et de villages où leur action s’est déroulée le plus pacifiquem­ent du monde. Dans Le Journal du dimanche, une dizaine de porteparol­e régionaux qui disent représente­r l’aile modérée du mouvement ont lancé un appel à structurer le mouvement. Ils réclament des états généraux sur la fiscalité. Mais pour eux, comme pour une majorité de la population, il n’y aura pas de discussion sans moratoire sur les hausses de carburant. D’autant qu’elles doivent se poursuivre dès l’année prochaine. Sans plus de précisions, le porte-parole du gouverneme­nt, Benjamin Griveaux, a déclaré que le gouverneme­nt était prêt à discuter avec les signataire­s de cet appel.

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ABDULMONAM EASSA AGENCE FRANCE-PRESSE Toute la journée de samedi, des casseurs et un certain nombre de « gilets jaunes » ont tenu en haleine plus de 5000 policiers.

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