En terrain glissant
Pour la soirée de clôture du 8e Jamais Lu Québec, la directrice artistique, Marianne Marceau, et le dramaturge Olivier Arteau plongent dans l’épineuse question des étiquettes et de la diversité
Plusieurs caractéristiques nous définissent comme individus : une langue et une nationalité, un sexe ou un genre, un âge, une profession. Dans un désir d’accéder à ce qui se cache derrière ces statuts ou caractéristiques, les deux créateurs de la soirée C’qui est écrit dans l’rétroviseur ont imaginé une mécanique complexe, bâtie sur de courtes entrevues avec quatre personnes souvent « étiquetées » — ce pourrait être un immigrant, une aveugle, un transgenre, donnent-ils en exemple.
Olivier Arteau et Marianne Marceau ont demandé à quatre auteurs (Marianne Dansereau, Dominique Leclerc, Marc-Antoine Marceau et Samuel Matteau) de produire un texte inspiré de ces mêmes entrevues, sans que ces auteurs connaissent la particularité de la personne interviewée. La soirée de clôture sera ainsi l’occasion pour le public d’entendre ces entrevues ainsi que les textes produits, mais surtout le dialogue qui naîtra entre les auteurs et leur inspiration tout à coup dévoilée.
La mécanique complexe, qui vise à déboulonner nos a priori et stéréotypes, s’attaque de toute évidence à une réalité fort actuelle: «C’est sûr qu’en quelque part, c’est une lutte contre l’étiquette, admet Olivier Arteau. On est de plus en plus ouverts, c’est vrai… mais on crée aussi de plus en plus d’étiquettes. »
« C’est comme si certaines personnes étaient toujours, par cette étiquette, invitées à ne parler que de ça, enchaîne Marianne Marceau. Alors qu’avec ce projet, on a envie de les entendre parler d’autre chose. […] Par exemple, on ne veut pas aller “à la rencontre des Premières Nations”, ou nécessairement faire un sweat lodge ou aller à une cérémonie… On a envie de rencontrer l’humain qui est derrière, de voir son unicité. »
La rencontre de l’autre
On le sent déjà, il s’agit d’un terrain glissant. Les deux créateurs sont d’ailleurs extrêmement précautionneux, eux qui se gardent bien de vouloir faire un « cabaret des curiosités ». Le soin qu’ils prennent à s’en défendre suffit d’ailleurs à pointer combien leur sujet est truffé de pièges : comment, en effet, parler de la différence ? Ou de ce qu’on appelle, parfois, « minorités » ?
« À voir les individus qu’on a choisis ainsi que les auteurs et la manière dont ils prévoient aborder l’autre, reprend Arteau, je n’ai pas l’impression que ça va créer cet effet-là. […] Le but, c’est que l’écriture arrête de partir de l’intime de l’auteur, pour se concentrer sur l’autre et sur la rencontre avec l’autre, pour faire jaillir quelque chose de plus grand. C’est vraiment un appel à se tourner vers l’autre pour créer. »
De ce territoire miné, on pourrait dire qu’il est celui des questions fragiles que révélaient notamment les polémiques autour de SLĀV et de Kanata. Les réactions clivées qui ont suivi, assurément, ont révélé dans le tissu social quelque chose de l’ordre d’une impasse.
En entrevue au Devoir pour notre papier d’ouverture de saison, la dramaturge Isabelle Hubert revenait d’ailleurs sur ces événements de l’été, en prédisant que les prochaines années verraient éclore, sur les scènes du Québec, une grande quantité de projets abordant les enjeux de l’ouverture à l’autre. La soirée de clôture du 8e Jamais Lu Québec pourrait bien constituer une première tentative aussi franche.