Le Devoir

Hausse des problèmes de santé mentale chez les jeunes

- ANNABELLE CAILLOU

Anxiété, déficit d’attention, détresse psychologi­que : les problèmes de santé mentale ne cessent d’augmenter chez les élèves du secondaire, selon une étude de l’Institut de la statistiqu­e du Québec (ISQ ). Peu surpris, des experts montrent du doigt l’hygiène de vie des jeunes et le manque d’accompagne­ment des adultes qui gravitent autour d’eux.

L’ISQ a dévoilé mercredi les résultats de sa seconde édition de l’Enquête québécoise sur la santé des jeunes du secondaire. Elle a été réalisée en 20162017 auprès de 62 000 jeunes, qui ont évalué leur santé physique et mentale ainsi que leurs habitudes de vie.

Le portrait s’est assombri : les jeunes sont plus nombreux que lors de la première édition de l’enquête, en 20102011, à éprouver des problèmes de santé mentale et à se médicament­er pour les soigner.

En six ans, la proportion d’élèves dans un « niveau élevé » de détresse psychologi­que a bondi de 21 à 29%. Ceux souffrant de troubles anxieux sont passés de 9 % à 17 %. Près d’un élève sur quatre (23 %) vit un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactiv­ité, alors qu’ils étaient 13 % en 2010-2011.

Mauvaises habitudes

Des chiffres qui n’étonnent pas JeanFranço­is Bélair, pédopsychi­atre à l’Institut universita­ire en santé mentale Douglas. C’est un constat qu’il fait au quotidien avec ses jeunes patients. « Ils se couchent tard, perdus sur les réseaux sociaux. Ils se lèvent donc plus tard et n’ont pas le temps de déjeuner. Ils vont manger de la malbouffe plutôt qu’une pomme en collation. Ils font peu de sport, ont peu de loisirs. On combine tout et ça peut entraîner des problèmes cognitifs importants. »

Et l’enquête de l’ISQ lui donne raison. «Les élèves qui dorment moins

que la durée de sommeil recommandé­e sont plus nombreux à présenter un niveau élevé de détresse psychologi­que (37 %) que ceux dormant le nombre d’heures recommandé­es (25 %) ».

L’étude démontre aussi que leurs habitudes alimentair­es se dégradent. Un peu plus de la moitié ( 58 %) déjeunent avant l’école, et 72 % déclarent avoir mangé de la malbouffe au moins une fois dans la semaine. Quant au sport, en combinant leur activité physique de loisir et de transport pour se rendre à l’école, moins du tiers des élèves se considèren­t comme actifs, tandis qu’un jeune sur cinq se range parmi les sédentaire­s.

Pourtant, bouger est essentiel aux yeux du pédopsychi­atre Jean-François Bélair. « L’activité sportive aide à gérer l’anxiété. Il ne faut pas non plus minimiser l’importance des loisirs, ce sont des activités valorisant­es qui vont les aider à se sentir bien dans leur peau. »

Un meilleur accompagne­ment

De son côté, la directrice du Mouvement Santé mentale Québec, Renée Ouimet, estime que les enfants subissent trop de pression de la part des adultes qui les entourent, ce qui n’aide en rien leur santé mentale. «On vit dans une société de performanc­e, et dès la petite enfance, on nous en demande beaucoup. Il faut de bonnes notes, faire des activités parascolai­res, être impliqué, avoir des amis. Certains parents et enseignant­s ont des exigences énormes », constate-t-elle.

À son avis, les parents devraient avoir moins d’attentes, mais passer plus de temps avec leurs enfants. « C’est pendant un repas ou une activité ensemble que les jeunes aborderont leurs petits malheurs. Comme adulte, on doit être un pilier dans leur vie. »

« Les adultes ont la maturité qui leur permet d’avoir un certain recul. C’est à eux de rassurer les jeunes et de leur apprendre à relativise­r », renchérit la présidente de l’Ordre des psychologu­es du Québec, Christine Grou. Si son but n’est pas de mettre la faute sur les adultes, elle croit essentiel de les sensibilis­er à la réalité des jeunes.

Et lorsque les problèmes dépassent leurs compétence­s, c’est aux experts de leur venir en aide. « Malheureus­ement, les profession­nels dans les écoles sont en nombre insuffisan­t pour aider les jeunes », regrette-t-elle.

Les élèves souffrant de troubles anxieux sont passés de 9 % à 17 %. Près d’un élève sur quatre (23 %) vit un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactiv­ité, alors qu’ils étaient 13 % en 2010-2011.

On vit dans une société de performanc­e, et dès la petite enfance, on nous en demande beaucoup. Il faut de bonnes notes, faire des activités parascolai­res, être impliqué, avoir des amis. Certains parents et enseignant­s ont des » exigences énormes. RENÉE OUIMET

La faute aux réseaux sociaux ?

Le pédopsychi­atre Jean-François Bélair ne partage pas entièremen­t leur opinion. Il donne l’exemple d’un parent monoparent­al ou bien d’un couple au travail prenant. « Ces gens-là, j’en vois tous les jours, et ils n’ont juste pas la capacité d’avoir des heures flexibles, des heures disponible­s pour passer plus de temps avec leurs enfants. Même s’ils le voulaient, ils ont une famille à nourrir. »

Il constate chez ses jeunes patients que les réseaux sociaux ont davantage d’impact sur leur santé mentale que les exigences de leurs parents. «Les réseaux sociaux créent une pression énorme de performanc­e, car on veut être populaire. Mais à l’adolescenc­e, notre identité — qui on veut être — est en pleine formation. Et l’avis constant des autres sur Internet amène une grande part d’insécurité. Ça rend nos jeunes vulnérable­s », s’inquiète-t-il.

Newspapers in French

Newspapers from Canada