Le Devoir

Le compromis caquiste

Le gouverneme­nt relève à 21 ans l’âge légal pour fumer de la marijuana

- MARCO BÉLAIR-CIRINO CORRESPOND­ANT PARLEMENTA­IRE À QUÉBEC

S’il avait fait à sa tête, Lionel Carmant aurait fait passer l’âge minimal requis pour consommer du cannabis de 18 à 25 ans. En le fixant à 21 ans, le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux a proposé mercredi à l’Assemblée nationale un « compromis entre la science et l’acceptabil­ité sociale ». Un « compromis » qui, si adopté, ferait du Québec la province la plus restrictiv­e du pays.

« Les limites de vitesse sont inférieure­s au Québec également », a lancé M. Carmant dans la cafétéria de l’école secondaire Joseph-François-Perrault, à Québec. Le ministre y avait convié les médias après avoir déposé le projet de loi 2 au Parlement afin de faire passer le « message » selon lequel le gouverneme­nt caquiste « fait ces changement­s-là pour protéger nos jeunes à l’école secondaire ».

En plus d’établir à 21 ans l’âge minimal requis pour « acheter » ou « posséder » du cannabis, le projet de loi du gouverneme­nt caquiste interdit de fumer du cannabis sur la voie publique et dans tous les lieux extérieurs publics.

M. Carmant dit uniformise­r l’interdicti­on de fumer du cannabis dans l’espace public à la grandeur du Québec notamment à des fins de clarté, déplorant la « confusion » créée par l’adoption de réglementa­tions différente­s — parfois d’un quartier à l’autre — par les élus municipaux.

Aux locataires d’un logement où il est interdit de fumer, M. Carmant a « propos[é mercredi] d’utiliser la forme d’huile qui existe déjà sur le marché ou d’en consommer dans l’alimentati­on ».

Toute personne prise en flagrant délit sera passible d’une amende de 100$ qu’elle pourra payer, contester ou encore annuler sur promesse d’assister à une séance d’informatio­n et de prévention en matière de consommati­on de cannabis. Il n’y aura pas de « chasse aux sorcières », a indiqué l’élu caquiste.

D’autre part, le projet de loi défend la Société québécoise du cannabis (SQDC) d’exploiter un point de vente de cannabis à moins de 250 mètres — ou 150 mètres sur le territoire de la Ville de Montréal — d’un établissem­ent d’enseigneme­nt collégial ou universita­ire.

À l’heure actuelle, la filiale de la Société des alcools du Québec (SAQ) ne peut tenir boutique à proximité d’une école préscolair­e, primaire ou secondaire. Si le projet de loi est adopté tel quel, la succursale située à Sainte-Foy devra déménager à l’échéance de son bail, a indiqué M. Carmant.

« Le message aux jeunes doit être clair : ce produit est dangereux et peut entraîner des problèmes graves comme la schizophré­nie », a insisté le premier ministre François Legault, donnant suite à sa promesse électorale de resserrer l’encadremen­t du cannabis.

Démonstrat­ion de force

Le projet de loi 2 revêt le sceau de la Fédération des médecins spécialist­es du Québec (FMSQ ), de l’Associatio­n des médecins psychiatre­s du Québec (AMPQ) et l’Associatio­n des médecins d’urgence du Québec (AMUQ). Leurs porte-parole se sont d’ailleurs présentés à la suite du Dr Carmant dans l’école secondaire Joseph-François-Perrault, mercredi après-midi.

« Fumer du cannabis chez les jeunes de moins de 21 ans augmentera la prévalence de certaines maladies à long terme, comme les cancers du poumon, les maladies pulmonaire­s obstructiv­es, les cas d’asthme et de bronchite, les grossesses à risque et les tractions néfastes avec certains types de médicament, les traumatism­es découlant d’accidents de la route, des troubles digestifs et de la santé reproducti­ve », a énuméré la présidente de la FMSQ, Diane Francoeur, avant de citer des études du

Journal of Clinical Psychiatry et du Journal of Neuroscien­ce.

La première montre que « les jeunes qui cessent de fumer du cannabis durant seulement une semaine voient leur apprentiss­age scolaire et leur mémoire s’améliorer très rapidement », tandis que la seconde note « des changement­s dans les régions du cerveau touchant les émotions chez les jeunes fumant du cannabis au moins une fois par semaine », a-t-elle résumé.

Les directeurs de santé publique avaient pourtant qualifié le « choix » de l’ancien gouverneme­nt d’établir à 18 ans l’âge de consommati­on du cannabis de « clair et judicieux ».

Le directeur national de la santé publique, Horacio Arruda, se trouvait dans la cafétéria au moment de la conférence de presse de M. Carmant, mais à l’écart du ministre et de ses alliés médecins.

De la SQDC aux Hells ?

À Ottawa, le premier ministre fédéral, Justin Trudeau, a une fois de plus noté que le changement législatif proposé par la CAQ soulevait des questions quant à l’objectif de la loi fédérale, soit de protéger les jeunes et de retirer le commerce du cannabis des mains du crime organisé.

« Ça soulève quelques questions, qu’un jeune de 18 ans puisse aller chercher cette semaine du cannabis de façon légale, mais que dans quelques mois il pourra peut-être seulement aller l’acheter chez les Hells. Ce sont des questions auxquelles le gouverneme­nt devra répondre. Mais ils prendront leurs décisions comme ils ont le droit de le faire », a commenté M. Trudeau à son arrivée au parlement mercredi.

Sa ministre de la Justice, Jody WilsonRayb­ould, avait avoué en octobre s’attendre à des contestati­ons judiciaire­s de lois provincial­es plus sévères que la loi fédérale qui autorise la consommati­on de cannabis à compter de 18 ans.

«Le gouverneme­nt du Canada ne contestera pas une loi provincial­e, avait-elle alors assuré, prudente. Mais cela ne veut pas dire qu’une tierce partie ou un individu ne le fera pas. »

Le gouverneme­nt Trudeau a toujours pris soin d’éviter de préciser si Ottawa interviend­rait dans une telle cause.

À Québec, M. Carmant a dit mercredi avoir eu l’assurance de la part des juristes de l’État québécois que le projet de loi 2 respecte à la fois la lettre et l’esprit de la législatio­n fédérale.

Par ailleurs, le neurologue psychiatre a été avisé de « quelques épisodes isolés » de troubles de santé éprouvés par des jeunes de 18, 19 et 20 ans ayant consommé du pot, et ce, depuis la légalisati­on de la marijuana, le 17 octobre dernier.

Il est persuadé que le nombre de consommate­urs de cannabis « va finir par diminuer » non seulement en fermant les portes des succursale­s de la SQDC aux personnes âgées de moins de 21 ans, mais aussi en renforçant la prévention dès la première année du primaire.

Témoignage­s

Deux élèves de l’école secondaire Joseph-François-Perrault ont reproché mercredi au gouverneme­nt caquiste de rediriger les jeunes adultes vers le crime organisé.

« C’est mieux que les gens se servent d’un service de qualité qu’ils aillent sur le marché noir et que l’argent ne revienne pas directemen­t au gouverneme­nt », a dit Alexandre Zinser avant l’arrivée de M. Carmant et de sa suite.

« On va se le dire, j’en veux, j’en ai à la pause. Ça finit là. […] Après, il faut accompagne­r la consommati­on, pas l’interdire », a poursuivi son confrère Marius Lacharité. Les deux hommes ont par la suite été invités à retourner en classe par la directrice de l’école.

C’est mieux que les gens se servent d’un service de qualité qu’ils aillent sur le marché noir et que l’argent ne revienne pas directemen­t au » gouverneme­nt ALEXANDRE ZINSER

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Le gouverneme­nt Legault avait promis en campagne électorale de relever à 21 ans l’âge légal pour consommer de la marijuana. Mercredi, il a déposé le projet de loi qui lui permettra de réaliser son engagement.

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