LES JEUNES CONSOMMENT MOINS DE CANNABIS ET D’ALCOOL
Selon des experts, Québec pourrait rendre problématique une réalité qui ne l’est pas
Un cadre plus rigide autour d’un problème incertain. Largement moins prisé que l’alcool, le cannabis est aussi de moins en moins consommé chez les élèves du secondaire depuis 2010, indiquent les plus récentes données de l’Institut de la statistique du Québec, dévoilées mercredi alors que Québec déposait son projet de loi haussant à 21 ans l’âge légal pour le cannabis. Des chiffres qui éclairent le caractère « populiste » du recadrage du gouvernement caquiste ciblant cette substance, selon une représentante de la santé publique.
« C’est un projet de loi qui adopte une approche populiste en répondant aux sondages d’opinion et aux perceptions plutôt qu’à l’ensemble des spécialistes et à la science, dit Émilie DansereauTrahan de l’Association pour la santé publique du Québec (ASPQ). La consommation de cannabis n’est pas un problème chez les jeunes. C’est une réalité, oui, mais une réalité qui diminue. »
L’Enquête québécoise sur la santé des jeunes du secondaire le confirme. Entre 2010 et 2017, la consommation sporadique, « au moins une fois dans l’année », de cannabis a connu une baisse de 7 points de pourcentage au sein de cette frange de la population, passant de 25 à 18 %, peut-on lire.
La « prévalence de la consommation régulière », soit une consommation au moins une fois par semaine, est égale- ment en baisse : elle est désormais de 8 %, contre 12 % pour la même période.
Cette baisse se mesure autant chez les filles que chez les garçons, constatent les gardiens provinciaux du chiffre.
L’alcool
Par ailleurs, la consommation d’alcool est également en baisse chez ces jeunes, mais reste de très loin supérieure à celle du cannabis: elle était présente chez 53% des élèves du secondaire l’an dernier, contre 60 % sept ans plus tôt. L’âge légal pour acheter de l’alcool au Québec n’est pas touché par le projet de loi et reste à 18 ans.
« Les campagnes de prévention ont bien fonctionné, résume au téléphone Cindy Desrosiers, qui s’occupe de la
C’est un projet de loi qui adopte une approche » populiste ÉMILIE DANSEREAU-TRAHAN
maison des jeunes La Lucarne de Matane, dans le Bas-Saint-Laurent. Les messages plus informatifs que ceux maniant la peur ont été efficaces. Et on le voit au quotidien auprès des jeunes. »
Prévention
Pour les représentants de la santé publique, la prévention reste toujours plus facile dans un environnement où la substance n’est pas démonisée, ce que le projet de loi de la CAQ va certainement contribuer à faire.
« Les jeunes qui vont vouloir consommer vont continuer à le faire en passant par des dealers qui vont les mettre en contact avec d’autres substances, avec un produit à la qualité moins surveillée, et ne pas offrir l’information et les conseils que l’on retrouve à la Société québécoise du cannabis [SQDC] », dit Mme Desrosiers.
« L’objectif de la légalisation en était un de santé publique, ajoute Mme Dansereau-Trahan qui croit qu’en haussant l’âge légal, Québec va à l’encontre de l’esprit de cette légalisation. Je garde espoir d’un revirement lors des consultations » qui vont précéder l’adoption de la nouvelle loi.
Peur non fondée
Largement mise à contribution par les tenants de règles plus sévères autour du cannabis, la peur de voir sa consommation comme une porte d’entrée vers les drogues dures et les mauvais comportements ne serait, par ailleurs, pas fondée, selon une étude publiée fin novembre dans Journal Addiction.
Quelque 400 jeunes de 10 à 12 ans ont été suivis pendant cinq ans par des chercheurs de l’Université de Pennsylvanie qui disent n’avoir pas réussi à faire de corrélation entre le cannabis et l’adoption de comportements problématiques, comme un passage vers d’autres drogues, des absences à l’école ou des comportements criminels non violents, résument-ils.
Les auteurs reconnaissent que le cannabis n’est pas inoffensif, mais que les risques de dépendance touchent une minorité d’individus.« La grande majorité des jeunes de 18 à 24 ans qui en consomment le font de manière non abusive », commente Alexane Langevin du Groupe de recherche et d’intervention psychosociale, qui déplore elle aussi le geste radical du gouvernement.
«Pour prévenir les comportements problématiques, c’est bien de parler du cannabis. Mais c’est dommage d’en parler de manière polarisée comme on le fait aujourd’hui », dit-elle.