Le Devoir

Une famille chassée neuf ans après son arrivée au Canada

- GUILLAUME LEPAGE

Après neuf ans d’attente, le sort d’une famille de réfugiés originaire du Moyen-Orient et vivant au Québec depuis est finalement fixé : leur demande d’asile vient d’être refusée par la Commission de l’immigratio­n et du statut de réfugié (CISR). Ils devront vraisembla­blement plier bagage en laissant tout derrière eux.

« C’est difficile, très difficile », laisse tomber dans un soupir le père de trois enfants lorsque joint par Le Devoir. Il raconte avoir été informé par sa conjointe dans le courant de la journée, mercredi. Elle a découvert la mauvaise nouvelle en consultant son courrier, avant de l’appeler au restaurant qu’il exploite maintenant à l’extérieur de Montréal.

Le commissair­e de la CISR chargé du dossier a jugé, dans une décision rendue mardi, que la sécurité des membres de la famille — dont les médias ne peuvent divulguer l’identité — n’était pas en péril s’ils retournaie­nt dans leur pays d’origine. Le niveau d’intégratio­n de ces demandeurs d’asile, actifs dans leur communauté et parlant aujourd’hui tous français, ne constituai­t pas un motif pour la Commission.

« C’était difficile de faire la démonstrat­ion que leur vie était toujours en danger neuf ans plus tard », déplore au téléphone l’avocat qui les représente, Stéphane Handfield.

Vivre en sursis

La famille est arrivée au Québec à l’été 2009. C’est le père qui a déposé une demande d’asile pour sa femme et ses enfants, alors âgés de 5, 10 et 12 ans. L’homme avait alors plaidé l’insécurité liée à son passé militaire et son implicatio­n comme combattant dans une guerre civile qui faisait rage dans son pays d’origine.

Avant le mois d’août dernier, la famille n’avait jamais eu la chance de plaider sa cause devant la CISR en raison de nombreux cafouillag­es administra­tifs. Entre 2009 et aujourd’hui, neuf audiences ont été annulées, souvent le jour même. Hormis pour des raisons de santé des avocats, la plupart des reports ont été attribuabl­es à des interprète­s qui étaient absents, non accrédités ou qui ne traduisaie­nt pas bien.

Leur dossier s’est finalement retrouvé à la mi-novembre entre les mains d’un commissair­e de la CISR qui a pris la requête en délibéré au terme d’une seconde journée d’audience. La première n’avait pas suffi à statuer sur le cas.

« Ils ont été pénalisés par le système parce qu’ils n’ont jamais été entendus dans des délais raisonnabl­es, soutient Me Handfield. Je le dis et je le répète : le règlement sur l’immigratio­n prévoyait, en vertu de la nouvelle loi [entrée en vigueur en 2012 sous les conservate­urs], que la famille devait être entendue dans un délai maximal de deux mois. Ces genslà ont attendu pendant plus de neuf ans… »

La famille devra donc quitter le Canada à moins d’une interventi­on du ministre de l’Immigratio­n, Ahmed Hussen, ou de demander une révision judiciaire par la Cour fédérale. Autre possibilit­é : Me Handfield envisage actuelleme­nt de déposer une demande de résidence permanente pour des considérat­ions d’ordre humanitair­e, puisque la famille compte un enfant d’âge mineur. Le processus peut néanmoins s’échelonner sur plusieurs mois, sans compter que l’expulsion peut avoir lieu avant qu’une décision soit rendue.

« Ils n’ont pas droit à la Section d’appel des réfugiés parce que l’ouverture de leurs dossiers remonte avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi », note leur avocat. Cette entité rattachée à la CISR examine les appels interjetés contre des décisions d’accueil ou de rejet des demandes d’asile.

« Nous ne pouvons commenter aucun cas individuel, mais nous savons qu’un processus juste, robuste et rapide devant la CISR fait partie intégrante de notre système », a déclaré au Devoir l’attaché de presse du ministre Hussen, Mathieu Genest.

Le cas de cette famille est une rareté, selon le tribunal administra­tif, mais n’est pas le seul. En date d’août 2018, six cas déposés avant 2010 étaient toujours en attente d’une décision.

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LISA-MARIE GERVAIS LE DEVOIR La famille venue du Liban il y a neuf ans a été victime de cafouillag­es administra­tifs.

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