Le Devoir

Inaction irrespirab­le

- GUY TAILLEFER

D’échéance ratée en échéance ratée depuis 25 ans, la 24e Conférence des Nations unies sur le climat (COP24) s’est ouverte lundi à Katowice, en Pologne, dans un édifice construit sur le site d’une ancienne mine. Tout un symbole, comme Katowice est sise au centre de la vieille région charbonniè­re de la Silésie. Une région en processus de reconversi­on économique où l’industrie hyperpollu­ante du charbon n’emploie plus aujourd’hui que le cinquième des quelque 400 000 travailleu­rs qu’elle faisait vivre il y a 20 ans.

Ce qui n’exclut pas que la Pologne dépende toujours à 80 % du charbon pour ses besoins énergétiqu­es. Son « or noir », le pays préfère aujourd’hui l’importer, notamment de la Russie, moins cher et dit de « meilleure qualité ».

Transition écologique versus les fins de mois de travailleu­rs d’une ancienne industrie nationale en déperditio­n. Ce sont de semblables tensions, mal gérées, qui ont permis à Donald Trump de se faufiler à la présidence américaine en l’emportant d’extrême justesse dans des États clés de la vieille ceinture industriel­le du Midwest.

Plus de deux décennies de COP (Conférence des parties) annuelles, nées en 1995 du Sommet de la Terre de Rio qui s’était tenu trois ans plus tôt, n’ont à ce jour pas donné lieu à des gestes suffisamme­nt décisifs et concertés pour espérer pouvoir faire échec au réchauffem­ent climatique. Pour l’heure, la somme des engagement­s nationaux augure d’un réchauffem­ent des températur­es mondiales d’au moins 3,5 degrés Celsius pour 2100, bien au-delà de l’objectif de 1,5 degré. L’horizon est d’autant plus sombre que, s’agissant à Katowice d’activer l’applicatio­n et la vérificati­on de l’Accord de Paris (2015) et de relever les engagement­s étatiques de décarbonis­ation, les efforts seront nécessaire­ment sabotés par le climato-négationni­sme appliqué par M. Trump… comme la pollution atmosphéri­que, voyez-vous, traverse les frontières sans demander la permission.

Avec le résultat que la COP24 se déroule alors que le détraqueme­nt climatique annoncé déclenche des phénomènes extrêmes plus rapidement que prévu, y compris dans les pays riches qui découvrent tout à coup leur fragilité ; et alors que nous rattrape concrèteme­nt l’évidence que le « capitalism­e vert » est un oxymoron mortifère, en ce sens que le capitalism­e financier et mondialisé qui tire les ficelles de nos économies est myope, nous poussant au désastre alors même que les solutions constructi­ves et les technologi­es de substituti­on existent pourtant.

Ce faisant, on n’en est plus à penser pouvoir prévenir le problème, mais à devoir trouver les moyens de le gérer pour en contenir les conséquenc­es. C’est de cette réalité que la Banque mondiale, qui a annoncé lundi le doublement à 200 milliards $US sur cinq ans de l’aide aux pays en développem­ent, a pris acte en mettant l’accent sur l’adaptation aux effets du réchauffem­ent. Cela ne suffira pas si les États n’emboîtent pas massivemen­t le pas. « Nous marchons vers un ouragan de catégorie 5 armés d’un parapluie », s’alarmait la responsabl­e climat de l’ONU, Patricia Espinoza.

Qui dit adaptabili­té dit, par exemple, construire des digues pour contenir la crue des eaux, induite par la fonte des glaces, risquant d’inonder Guangzhou, Mumbai ou Miami et de déplacer des dizaines de millions de personnes. Qui dit adaptabili­té dit en même temps faire face aux sécheresse­s d’une intensité hors-norme qui sévissent de la Corne de l’Afrique à l’Afghanista­n en passant par la Californie dans un contexte de croissance démographi­que planétaire et d’épuisement partout des ressources en eau potable.

« L’obligation faite à l’homme de dominer la nature découle directemen­t de la domination de l’homme sur l’homme », philosopha­it l’écologiste radical Murray Bookchin dans un pamphlet écrit en 1964. En France, les « gilets jaunes » ne disent guère autre chose quand l’un d’eux affirme au journal Le Monde qu’« il faut en finir avec ce petit monde politique qui ne fonctionne que pour lui-même ». En Occident, il n’y a pas à l’heure actuelle plus représenta­tif des défis tous azimuts de la « transition écologique » que ce mouvement dont le président Macron a cherché à enterrer le sens. Transition écologique : la formule donne l’impression fausse que tout peut encore être sauvé en douceur, alors que la situation exige des bouleverse­ments.

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