Le Devoir

Cessons de priver des Canadiens du droit de vote

- Pierre J. Dalphond Ex-juge de la Cour d’appel, et sénateur indépendan­t

Le vote est un droit fondamenta­l en démocratie. Il est donc normal que tout citoyen canadien puisse jouir du droit de voter aux élections fédérales.

Ce droit est si important que les rédacteurs de la Charte canadienne des droits et libertés l’ont inclus et ont précisé qu’il ne peut être suspendu par l’applicatio­n de la clause dérogatoir­e. Or, sous la Loi électorale fédérale actuelle, ce droit est nié à des milliers de concitoyen­s.

En effet, l’adoption en 2014 de la Loi sur l’intégrité des élections a empêché de nombreux citoyens vulnérable­s (les communauté­s autochtone­s, les personnes âgées, les jeunes et les sans-abri) d’exercer leur droit de voter.

Cette loi exige la présentati­on pour voter d’une carte d’identité émise par une autorité gouverneme­ntale comportant photo, nom et adresse ou, à défaut, de deux pièces d’identité qui établissen­t son nom et dont au moins une qui établit en plus sa résidence, autre que l’avis de confirmati­on d’inscriptio­n envoyé par le directeur du scrutin à chaque électeur sur la liste (souvent appelé carte de l’électeur).

Dans les faits, le permis de conduire est devenu la pièce d’identité la plus courante puisqu’elle combine la photo, le nom et l’adresse.

Cependant, environ 4 millions de citoyens ne possèdent pas de permis de conduire, dont 1,4 million de citoyens âgés de 65 ans et plus. Il en va de même pour 500 000 jeunes de 18 à 24 ans, sans parler des sans-abri et des résidents des territoire­s des Premières Nations.

Pour ces millions de personnes, il faut donc deux pièces d’identité avec leur nom, dont l’une comprenant leur adresse, comme une facture d’un service public ou un relevé bancaire.

Or, si la grande majorité de ces personnes possèdent une carte d’assurance maladie, où n’apparaît cependant pas l’adresse, notamment au Québec et en Ontario, il demeure que plusieurs d’entre elles ne sont pas en mesure de fournir une deuxième pièce portant leur nom et leur adresse.

C’est le cas par exemple du membre du couple où toutes les factures sont au nom d’un des deux conjoints, ou du jeune adulte qui habite chez ses parents et n’a pas de carte de crédit à son nom. Même dans le cas des personnes qui reçoivent des factures à leur nom, il arrive souvent qu’elles oublient d’apporter avec elles ces dernières au bureau de vote.

Inadmissib­ilité

Par contre, les électeurs se présentent généraleme­nt au bureau de vote avec l’avis de confirmati­on d’inscriptio­n, une pièce officielle qui n’est cependant pas admissible.

Le résultat net est affligeant. Ainsi, en 2015, lors des dernières élections fédérales, 49 600 concitoyen­s se sont présentés à un bureau de vote mais n’ont pu voter faute de posséder une carte avec photo, nom et adresse et n’avoir pu en lieu et place présenter les deux pièces requises ou se présenter avec un répondant inscrit dans la même section de vote.

Selon un sondage effectué par Statistiqu­e Canada, plus de 123 100 autres Canadiens ont choisi de ne pas se présenter dans leur section de vote puisqu’ils ne pensaient pas pouvoir satisfaire les exigences d’identifica­tion.

Les résidents des communauté­s autochtone­s ont également été touchés par la modificati­on de 2014, eux qui ne possèdent pas toujours une adresse résidentie­lle convention­nelle ou ne reçoivent pas de comptes avec une adresse individual­isée.

En 2014, pour exclure le recours à l’avis de confirmati­on, on a avancé que cette mesure visait à lutter contre la fraude électorale. Or, le Directeur général des élections le rappelle régulièrem­ent, l’avis de confirmati­on a eu un taux d’exactitude de plus de 96% à l’élection générale de 2015.

De plus, pour voter, il ne suffit pas d’avoir son nom sur la liste de la section de vote et d’avoir l’avis de confirmati­on, car il faut en plus une autre pièce d’identité fiable ou un répondant.

Avec le projet de loi C-76, Loi sur la modernisat­ion des élections, adopté récemment par la Chambre des communes et qui termine son parcours au Sénat, on rétablit l’avis de confirmati­on de l’électeur comme pièce d’identité contenant le nom et l’adresse.

Voilà une mesure qui permettra à des milliers de Canadiens d’exercer un droit fondamenta­l et précieux.

C-76 n’est certes pas parfait. Je signale, notamment, son silence à l’égard de la parité homme-femme parmi les députés, sa timidité à l’égard de la protection des données de la vie privée recueillie­s par les partis politiques et des lacunes dans l’encadremen­t des dépenses par des tiers, dont des étrangers.

Néanmoins, celui-ci répond à plus de 85% des recommanda­tions du Directeur général des élections présentées au lendemain des élections de 2015, dont l’importante question d’une plus grande accessibil­ité au vote.

Le Sénat, qui vient de réaliser un examen approfondi du projet de loi C-76, se doit maintenant de l’adopter sans plus tarder, afin de permettre sa mise en place à temps pour la prochaine élection générale fédérale en octobre 2019. Pour maintenir la confiance dans notre démocratie, il est impératif d’assurer à un maximum de Canadiens que leur voix sera prise en compte dans le choix de leurs représenta­nts en 2019.

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