À l’université, les tricheurs bénéficient de la clémence de la direction
Les directions universitaires du Québec préfèrent éduquer les étudiants avant de les punir
Les étudiants qui font du plagiat s’en tirent à bon compte. Les universités québécoises imposent généralement les sanctions les moins sévères, surtout aux auteurs d’une première infraction, et préfèrent sensibiliser les tricheurs avant de les punir, selon une enquête menée par Le Devoir. Toutes les universités ont un code disciplinaire qui interdit le plagiat et les autres formes de tricherie, passibles en théorie de sanctions allant de la simple réprimande à l’expulsion de l’établissement, ou même l’annulation du diplôme. Dans les faits, entre 19 % et 45 % des infractions alléguées aux règles du droit d’auteur (le pourcentage varie d’une université à l’autre) restent impunies, indiquent les données fournies par les universités. Et la sanction la plus courante pour les tricheurs est l’échec ou la réduction d’une note à un examen ou à un travail.
Dans le cadre de cette enquête, Le Devoir a fait une série de demandes d’accès à l’information aux universités québécoises pour connaître l’ampleur de la tricherie depuis les cinq dernières années. Les données indiquent que le nombre d’infractions est resté relativement stable, sans tendance marquée à la hausse ou à la baisse entre les années 2013 et 2018. Par contre, nos documents révèlent que les universités mettent la pédale douce sur les sanctions imposées aux tricheurs, surtout pour une première offense. Infractions non sanctionnées, possibilité de reprendre un travail ayant donné lieu à du plagiat, échec ou note réduite pour un travail ou un examen, participation obligatoire à une formation sur l’éthique : les auteurs de plagiat ont souvent droit à une deuxième chance ou à une sanction légère.
« Toutes les universités ont des règles disciplinaires, mais leur mise en application varie beaucoup d’un établissement à l’autre. Le problème, c’est que les sanctions ne sont pas toujours appliquées, pour des raisons parfois ésotériques », dit Sébastien Béland, professeur adjoint à la Faculté des sciences de l’éducation à l’Université de Montréal (UdeM).
«La littérature scientifique indique que les étudiants n’ont pas peur de se faire prendre à plagier. Ils considèrent que les bénéfices du plagiat [sont] plus élevés que les risques [qui leur sont] associés », précise ce spécialiste de l’évaluation. Lui et ses collègues Julien Bureau (Université Laval) et Serge Larivée (UdeM) ont sonné l’alarme sur l’étendue du plagiat dans Le Devoir en avril dernier et l’hésitation des universités à s’y attaquer de front.
Même si le consensus scientifique estime à 40 % les étudiants universitaires qui ont déjà plagié pour au moins un travail durant leurs études, cette proportion est sans doute plus élevée dans la réalité, selon les chercheurs.
Le risque de se faire prendre — et de se faire punir — devrait pourtant faire réfléchir les fraudeurs potentiels, estime Sébastien Béland. Mais encore faut-il que les tricheurs soient bel et bien sanctionnés pour leurs actes.
Ainsi, à l’Université McGill, près du tiers (31%) des 807 infractions alléguées de plagiat depuis cinq ans ont été exonérées de tout blâme. La quasi-totalité des étudiants sanctionnés ont écopé d’une « admonestation », la peine disciplinaire la moins sévère prévue au Code de conduite, qui n’entraîne aucune note au dossier. En cinq ans, à peine 49 étudiants ont eu droit à une « réprimande » (assortie d’une note au dossier).
Fait à noter, près de neuf étudiants sur dix ayant été sanctionnés pour plagiat à McGill traînent aussi un « sursis probatoire » qui augmente la pénalité en cas de récidive. « Le sursis probatoire est un outil de dissuasion très efficace », dit Chris Buddle, doyen à la vie étudiante à l’Université McGill.
Comme les représentants de toutes les universités à qui nous avons parlé, il se défend d’imposer des sentences bonbons aux tricheurs. Le Code de conduite de l’Université vise à éduquer autant qu’à sanctionner les étudiants fautifs, explique-t-il. « Il y a beaucoup de confusion sur ce qui constitue ou non une infraction. Le Code de conduite est un outil d’éducation et d’apprentissage », dit Chris Buddle.
Présomption d’innocence
Oui, il faut punir les tricheurs, mais il faut aussi éviter de sanctionner des innocents, fait valoir Francine Rancourt, doyenne aux études à l’Université du Québec en Outaouais (UQO). En cinq ans, un cas allégué sur cinq de plagiat (19 %) n’a entraîné aucune sanction à l’établissement établi à Gatineau.
« Dans ces cas, les membres du comité disciplinaire ont conclu à l’unani-
mité que les preuves étaient insuffisantes, explique-t-elle. Si on n’est pas absolument sûrs qu’il y a eu volonté de plagiat ou de tricherie, on ne prononcera pas une sentence. Et je peux vous dire que ça discute très sérieusement au comité. »
Le comité ne donnera sans doute pas une condamnation si un étudiant dit en avoir vu un autre consulter son téléphone à la salle de bains durant un examen. Il est beaucoup plus facile de prouver le plagiat dans des travaux écrits, souligne Francine Rancourt.
Le cas classique de plagiat, c’est qu’un étudiant copie des extraits de textes trouvés sur le Web sans mettre les citations entre guillemets. Parfois, il indique ses sources dans la bibliographie, mais pas dans le texte.
Dans ce dernier cas, l’étudiant héritera d’un zéro ou d’une note réduite, explique Mme Rancourt. La sanction est plus légère pour un étudiant de première année. « On est moins compréhensifs pour les étudiants de dernier trimestre au baccalauréat, et plus impitoyables quand il s’agit d’étudiants de cycles supérieurs [qui] ne peuvent prétendre ignorer ce qu’est le plagiat. »
Les rares cas de plagiat ou de tricherie aux cycles supérieurs risquent d’aboutir au châtiment le plus sévère : renvoi de l’université. À l’UQO, 24 suspensions, pour une période variant entre un trimestre et trois ans, ont été imposées entre les années 2013 et 2018. Les cas de récidive, de plagiat grave (un ouvrage copié en grande partie ou en totalité) ou d’un étudiant qui se fait remplacer à un examen, par exemple, sont aussi susceptibles de mener à l’expulsion, explique Francine Rancourt.
Une deuxième chance
Les expulsions sont rarissimes dans les universités ayant dévoilé leurs statistiques au Devoir. Durant la période de cinq ans analysée par notre enquête, l’Université du Québec à Montréal (UQAM) a renvoyé le plus grand nombre d’étudiants pour fraude intellectuelle : 56 suspensions et 7 expulsions ont été signalées.
Dans le reste du réseau universitaire, une poignée d’étudiants se font suspendre chaque année.
La sanction la plus répandue pour les tricheurs est l’échec à un examen ou à un travail. Par exemple, 40 % des cas allégués de plagiat ont mené à ce type d’échec à l’Université du Québec en Outaouais, 31 % à l’Université du Québec à Rimouski et 32 % à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Le plagiat menant à l’échec d’un cours — une sanction plus sévère — est cependant plus rare dans toutes les universités.
De son côté, l’Université Laval a assoupli son règlement, à l’automne 2016, pour donner une deuxième chance aux plagiaires : 20 % des étudiants fautifs ont eu le droit de reprendre leur travail plutôt que d’obtenir une note de zéro.
« Souvent, les professeurs se rendaient compte que l’étudiant connaissait mal les détails de nos exigences au sujet de la tricherie et du plagiat », dit Robert Beauregard, vice-recteur exécutif et vice-recteur aux études et aux affaires étudiantes.
« Si l’étudiant semble de bonne foi et affirme ignorer certaines règles, on donne aux professeurs le droit de permettre une reprise, si le travail vaut pour moins de 50 % des points [de la session]. Souvent, c’est dans des questions de détail. Le professeur n’a pas l’obligation de permettre la reprise, il peut décider que c’est du plagiat et donner zéro pour ce travail-là. »