La famille canadienne se chamaille
Et cette fois, le Québec n’est pas le trublion à la table des premiers ministres
La discorde régnait au terme de la rencontre des premiers ministres fédéral et provinciaux à Montréal vendredi soir. Pour une fois, le Québec n’avait rien à y voir.
En effet, un sentiment de révolte s’était emparé des premiers ministres ontarien, Doug Ford, et saskatchewanais, Scott Moe.
Ils ont dénoncé l’obstination du gouvernement fédéral à instaurer dans leur province une taxe sur le carbone « tueuse d’emplois », en plus de l’accuser de réviser leurs cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).
Le premier ministre fédéral, Justin Trudeau, s’est pour sa part montré inflexible devant la contestation grandissante suscitée par son plan de tarification du carbone. « C’est important d’agir et de mettre un prix sur la pollution », a-t-il soutenu en conférence de presse.
Recul environnemental
Depuis l’arrivée de M. Ford à la barre du gouvernement ontarien, l’Ontario a fait un « pas en arrière » dans la lutte contre les changements climatiques, a-t-il déploré.
« Je pense que c’est très clair que le premier ministre Ford et moi avons une différence d’opinions sur les changements climatiques », a-t-il poursuivi, entouré de la plupart des premiers ministres des provinces et territoires.
M. Ford brillait par son absence.
François Legault semblait amusé par cette dispute au sein de la famille canadienne. « C’est une gang de séparatistes, c’est ça ! » a lancé à la blague l’ex-élu du Parti québécois aux médias canadiens.
Le climat d’hostilité n’est pas étranger, selon lui, à la tenue, dans moins d’un an, des élections fédérales. «Ce que j’ai compris, c’est qu’il y a des libéraux, des conservateurs. Et il y a des gens qui sont plus environnement. Il y en a qui le sont moins », a-t-il souligné avant de se serrer les coudes avec M. Trudeau. « Sur l’environnement, on était pas mal d’accord », a-t-il noté.
M. Legault a tué dans l’oeuf tout projet de pipeline passant par le Québec. « J’ai été très, très clair : il n’y a aucune acceptabilité sociale au Québec pour avoir un oléoduc », a-t-il déclaré sans détour au ROC (Rest of Canada).
M. Trudeau a aussi convenu vendredi qu’« il n’y a aucun consensus » au sujet d’un pipeline calqué sur celui d’Énergie Est, qui visait à acheminer du pétrole de l’Alberta et de la Saskatchewan à un terminal maritime situé à Saint-Jean.
Le premier ministre québécois n’a toutefois pas manqué une occasion de faire la promotion de l’hydroélectricité québécoise auprès de ses voisins à la recherche d’énergie renouvelable. « On leur offre une énergie qui n’est pas chère et qui est propre. Moi, je ne me sens pas du tout gêné de refuser de l’énergie sale », a-t-il lancé.
Qui plus est, l’industrie pétrolière et gazière canadienne devrait être « correcte », selon lui, si les projets de pipeline Trans Mountain et Keystone XL démarrent.
Le premier ministre du NouveauBrunswick, Blaine Higgs, s’est dit étonné de la posture adoptée par M. Legault, qui d’une part refuse net de faciliter le transport du pétrole, mais d’autre part demande de favoriser celui de l’hydroélectricité québécoise. « Ça doit aller dans les deux sens », a soutenu l’élu conservateur.
L’Alberta avait acheté de pleines pages de publicité, notamment dans The Gazette et Le Devoir, afin de sensibiliser la population québécoise aux coûts liés à l’absence de débouchés pour le pétrole albertain et saskatchewanais. La paralysie du projet Trans Mountain, qui consiste à faire passer la capacité du pipeline traversant l’Alberta et la Colombie-Britannique de 300 000 à 890 000 barils par jour, coûte 80 millions de dollars par jour aux Canadiens, indique le gouvernement albertain. « Ce retard signifie [notamment] moins d’investissements dans les énergies vertes», note-t-il dans sa campagne publicitaire.
À l’extérieur, des dizaines de manifestants demandaient aux premiers ministres de présenter leur plan d’urgence climatique. « On va talonner les gouvernements tant et aussi longtemps qu’ils n’arriveront pas avec des plans crédibles, tant qu’ils n’écouteront pas la science », a averti le responsable de la campagne Climat-Énergie à Greenpeace Canada, Patrick Bonin. Les efforts de persuasion commencent à porter leurs fruits, au Québec, a-t-il souligné. « Le gouvernement Legault a reculé. Lui qui était un cancre en environnement, il est en train de reconnaître l’urgence climatique », a dit le militant écologiste, appelant à « augmenter la pression » dans le reste du Canada.
« Batterie du Nord-Est américain »
M. Legault a toutefois dit partager les frustrations de ses homologues de l’Alberta et de la Saskatchewan, qui peinent à exporter leur pétrole et leur gaz. « On a un problème qui est semblable avec l’hydroélectricité. On a des surplus d’électricité. On a des possibilités de construire de nouveaux barrages au Québec pour exporter plus d’électricité. Donc, on a le même défi dans le fond que les provinces productrices de pétrole. Mais le grand avantage qu’on a, c’est que nous, c’est une énergie qui est peu coûteuse et qui est propre », a-t-il souligné.
Une rencontre avec son homologue de Terre-Neuve-et-Labrador, Dwight Ball, a nourri l’espoir de M. Legault de voir les deux provinces, qui étaient à couteaux tirés pendant des années, s’allier pour «devenir la batterie du Nord-Est américain ».
Justin Trudeau a, lui, montré de l’intérêt à favoriser la création d’interconnexions électriques entre les provinces et l’exportation d’hydroélectricité vers les États-Unis.
Legault « content »
Par ailleurs, François Legault s’est dit « content » de voir M. Trudeau réitérer sa promesse de «donner une pleine compensation » aux producteurs laitiers ébranlés par l’Accord Canada– États-Unis–Mexique (ACEUM).
M. Trudeau a justifié la durée des pourparlers entre son gouvernement et les producteurs par la nature des discussions. « Ce n’est pas juste une discussion sur l’argent, c’est aussi une discussion stratégique sur comment on peut améliorer et aider le secteur laitier au Canada », a-t-il indiqué.
Par ailleurs, il s’est réjoui de voir son homologue fédéral disposé à rembourser plus que les frais d’hébergement des 24 000 demandeurs d’asile qui ont trouvé refuge au Québec après avoir franchi illégalement la frontière canado-américaine au cours des deux dernières années. Québec a déboursé quelque 300 millions de dollars en « coûts directs » liés non seulement à l’hébergement des demandeurs d’asile, mais aussi à leur éducation et à leur santé. Ottawa pourrait accorder davantage que les 136 millions actuellement sur la table, a indiqué M. Legault, y voyant une avancée.
« Je suis content de ma première expérience avec les autres premiers ministres [provinciaux] et le premier ministre du Canada», a conclu M. Legault, quittant sa première rencontre fédérale-provinciale tout sourire.