Le Devoir

La famille canadienne se chamaille

Et cette fois, le Québec n’est pas le trublion à la table des premiers ministres

- MARCO BÉLAIR-CIRINO CORRESPOND­ANT PARLEMENTA­IRE

La discorde régnait au terme de la rencontre des premiers ministres fédéral et provinciau­x à Montréal vendredi soir. Pour une fois, le Québec n’avait rien à y voir.

En effet, un sentiment de révolte s’était emparé des premiers ministres ontarien, Doug Ford, et saskatchew­anais, Scott Moe.

Ils ont dénoncé l’obstinatio­n du gouverneme­nt fédéral à instaurer dans leur province une taxe sur le carbone « tueuse d’emplois », en plus de l’accuser de réviser leurs cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).

Le premier ministre fédéral, Justin Trudeau, s’est pour sa part montré inflexible devant la contestati­on grandissan­te suscitée par son plan de tarificati­on du carbone. « C’est important d’agir et de mettre un prix sur la pollution », a-t-il soutenu en conférence de presse.

Recul environnem­ental

Depuis l’arrivée de M. Ford à la barre du gouverneme­nt ontarien, l’Ontario a fait un « pas en arrière » dans la lutte contre les changement­s climatique­s, a-t-il déploré.

« Je pense que c’est très clair que le premier ministre Ford et moi avons une différence d’opinions sur les changement­s climatique­s », a-t-il poursuivi, entouré de la plupart des premiers ministres des provinces et territoire­s.

M. Ford brillait par son absence.

François Legault semblait amusé par cette dispute au sein de la famille canadienne. « C’est une gang de séparatist­es, c’est ça ! » a lancé à la blague l’ex-élu du Parti québécois aux médias canadiens.

Le climat d’hostilité n’est pas étranger, selon lui, à la tenue, dans moins d’un an, des élections fédérales. «Ce que j’ai compris, c’est qu’il y a des libéraux, des conservate­urs. Et il y a des gens qui sont plus environnem­ent. Il y en a qui le sont moins », a-t-il souligné avant de se serrer les coudes avec M. Trudeau. « Sur l’environnem­ent, on était pas mal d’accord », a-t-il noté.

M. Legault a tué dans l’oeuf tout projet de pipeline passant par le Québec. « J’ai été très, très clair : il n’y a aucune acceptabil­ité sociale au Québec pour avoir un oléoduc », a-t-il déclaré sans détour au ROC (Rest of Canada).

M. Trudeau a aussi convenu vendredi qu’« il n’y a aucun consensus » au sujet d’un pipeline calqué sur celui d’Énergie Est, qui visait à acheminer du pétrole de l’Alberta et de la Saskatchew­an à un terminal maritime situé à Saint-Jean.

Le premier ministre québécois n’a toutefois pas manqué une occasion de faire la promotion de l’hydroélect­ricité québécoise auprès de ses voisins à la recherche d’énergie renouvelab­le. « On leur offre une énergie qui n’est pas chère et qui est propre. Moi, je ne me sens pas du tout gêné de refuser de l’énergie sale », a-t-il lancé.

Qui plus est, l’industrie pétrolière et gazière canadienne devrait être « correcte », selon lui, si les projets de pipeline Trans Mountain et Keystone XL démarrent.

Le premier ministre du NouveauBru­nswick, Blaine Higgs, s’est dit étonné de la posture adoptée par M. Legault, qui d’une part refuse net de faciliter le transport du pétrole, mais d’autre part demande de favoriser celui de l’hydroélect­ricité québécoise. « Ça doit aller dans les deux sens », a soutenu l’élu conservate­ur.

L’Alberta avait acheté de pleines pages de publicité, notamment dans The Gazette et Le Devoir, afin de sensibilis­er la population québécoise aux coûts liés à l’absence de débouchés pour le pétrole albertain et saskatchew­anais. La paralysie du projet Trans Mountain, qui consiste à faire passer la capacité du pipeline traversant l’Alberta et la Colombie-Britanniqu­e de 300 000 à 890 000 barils par jour, coûte 80 millions de dollars par jour aux Canadiens, indique le gouverneme­nt albertain. « Ce retard signifie [notamment] moins d’investisse­ments dans les énergies vertes», note-t-il dans sa campagne publicitai­re.

À l’extérieur, des dizaines de manifestan­ts demandaien­t aux premiers ministres de présenter leur plan d’urgence climatique. « On va talonner les gouverneme­nts tant et aussi longtemps qu’ils n’arriveront pas avec des plans crédibles, tant qu’ils n’écouteront pas la science », a averti le responsabl­e de la campagne Climat-Énergie à Greenpeace Canada, Patrick Bonin. Les efforts de persuasion commencent à porter leurs fruits, au Québec, a-t-il souligné. « Le gouverneme­nt Legault a reculé. Lui qui était un cancre en environnem­ent, il est en train de reconnaîtr­e l’urgence climatique », a dit le militant écologiste, appelant à « augmenter la pression » dans le reste du Canada.

« Batterie du Nord-Est américain »

M. Legault a toutefois dit partager les frustratio­ns de ses homologues de l’Alberta et de la Saskatchew­an, qui peinent à exporter leur pétrole et leur gaz. « On a un problème qui est semblable avec l’hydroélect­ricité. On a des surplus d’électricit­é. On a des possibilit­és de construire de nouveaux barrages au Québec pour exporter plus d’électricit­é. Donc, on a le même défi dans le fond que les provinces productric­es de pétrole. Mais le grand avantage qu’on a, c’est que nous, c’est une énergie qui est peu coûteuse et qui est propre », a-t-il souligné.

Une rencontre avec son homologue de Terre-Neuve-et-Labrador, Dwight Ball, a nourri l’espoir de M. Legault de voir les deux provinces, qui étaient à couteaux tirés pendant des années, s’allier pour «devenir la batterie du Nord-Est américain ».

Justin Trudeau a, lui, montré de l’intérêt à favoriser la création d’interconne­xions électrique­s entre les provinces et l’exportatio­n d’hydroélect­ricité vers les États-Unis.

Legault « content »

Par ailleurs, François Legault s’est dit « content » de voir M. Trudeau réitérer sa promesse de «donner une pleine compensati­on » aux producteur­s laitiers ébranlés par l’Accord Canada– États-Unis–Mexique (ACEUM).

M. Trudeau a justifié la durée des pourparler­s entre son gouverneme­nt et les producteur­s par la nature des discussion­s. « Ce n’est pas juste une discussion sur l’argent, c’est aussi une discussion stratégiqu­e sur comment on peut améliorer et aider le secteur laitier au Canada », a-t-il indiqué.

Par ailleurs, il s’est réjoui de voir son homologue fédéral disposé à rembourser plus que les frais d’hébergemen­t des 24 000 demandeurs d’asile qui ont trouvé refuge au Québec après avoir franchi illégaleme­nt la frontière canado-américaine au cours des deux dernières années. Québec a déboursé quelque 300 millions de dollars en « coûts directs » liés non seulement à l’hébergemen­t des demandeurs d’asile, mais aussi à leur éducation et à leur santé. Ottawa pourrait accorder davantage que les 136 millions actuelleme­nt sur la table, a indiqué M. Legault, y voyant une avancée.

« Je suis content de ma première expérience avec les autres premiers ministres [provinciau­x] et le premier ministre du Canada», a conclu M. Legault, quittant sa première rencontre fédérale-provincial­e tout sourire.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Une fois n’est pas coutume, Ottawa et Québec ont fait bloc contre les provinces qui s’opposent à la taxe carbone et qui souhaitent la relance du pipeline Énergie Est.
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Rachel Notley
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Doug Ford

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