Le Devoir

LPC vs Loi sur les banques

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Il y a deux ans, tout le Québec politique se mobilisait contre le projet de loi C29, qui avait notamment pour effet d’accorder à la Loi sur les banques la préséance sur la Loi sur la protection du consommate­ur (LPC). Aujourd’hui, avec C-86, on craint moins la même intrusion que la confusion, qui pourrait finalement aboutir au même résultat.

Ottawa rappelait cette semaine que son C-86 ne vise que les institutio­ns tombant sous la responsabi­lité fédérale, que la LPC continuera à s’appliquer pleinement, que les deux lois seront complément­aires. « Comme annoncé dans le budget 2018, et suivant un examen exhaustif des pratiques de vente des banques par l’Agence de la consommati­on en matière financière du Canada (ACFC), notre gouverneme­nt fera des amendement­s qui renforcero­nt les droits et les intérêts des Canadiens en veillant à ce que l’ACFC ait le mandat et les outils nécessaire­s pour assurer la protection des consommate­urs dans leurs interactio­ns avec les banques », a rappelé mardi Pierre-Olivier Herbert, attaché de presse au cabinet du ministre fédéral des Finances. « Le projet de loi dans sa forme actuelle n’affirme aucune exclusivit­é fédérale. Ces mesures n’auraient aucune incidence sur la capacité des provinces à réglemente­r les protection­s des consommate­urs et ne remplacera­ient pas les droits actuels des consommate­urs sous les règles provincial­es de protection des consommate­urs. »

La veille, le Bloc québécois dénonçait ce qui « semble plutôt vouloir protéger les banques en retirant à l’Office de la protection du consommate­ur tout recours contre elles ». Pour le Bloc, le projet de loi crée un flou juridique susceptibl­e, au bout du compte, de favoriser les banques.

Le vendredi précédent, les ministres québécois de la Justice et des Finances envoyaient une lettre au ministre fédéral des Finances, Bill Morneau, évoquant « l’empiétemen­t du projet de loi C-86 ». Ils se disaient « inquiets pour les consommate­urs, car certaines mesures prévues dans le texte législatif leur accordent des protection­s inférieure­s à ce que prévoit déjà la législatio­n québécoise et qu’elles risquent de créer de la confusion ».

Jean-Philippe Groleau, associé au cabinet d’avocats Davies, ne s’est pas penché spécifique­ment sur le projet de loi C-86. Mais à titre de spécialist­e en droit constituti­onnel, il rappelle qu’il n’est pas rare de voir le fédéral intervenir dans des champs laissés vacants par certaines provinces, voire de s’adonner au dédoubleme­nt, sans que cela pose nécessaire­ment problème.

Il ajoute que le droit constituti­onnel repose sur deux grandes doctrines. Il pense à l’exclusivit­é des compétence­s, qui empêche les lois adoptées par un ordre de gouverneme­nt d’empiéter indûment sur la compétence exclusive réservée à l’autre ordre de gouverneme­nt. Dans le cas de C-86, il s’agirait de la compétence fédérale sur les banques. Cette doctrine perd toutefois de plus en plus de son influence dans un environnem­ent de fédéralism­e coopératif. Dans le cas précis du projet de loi C-86, il rappelle l’arrêt Marcotte de 2014, la Cour suprême concluant que la Loi sur la protection du consommate­ur (LPC) s’appliquait aux banques.

L’autre doctrine porte sur la prépondéra­nce du fédéral. En cas de conflit entre une loi provincial­e validement adoptée et une loi fédérale également validement adoptée, cette dernière a préséance. Pratique pour le consommate­ur s’estimant lésé, s’il trouve remède à son problème sous la loi fédérale, il n’y aurait pas de risque de contestati­on. Mais s’il s’en remet à la LPC, la possibilit­é demeure que les banques fassent valoir que la LPC entre en conflit avec la loi fédérale et qu’une cause portée devant les tribunaux s’étende aux instances supérieure­s.

La prépondéra­nce du fédéral entre en jeu

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