Le Devoir

Une brèche dans la loi du silence

Le degré de transparen­ce varie d’un établissem­ent à l’autre

- MARCO FORTIER

Le plagiat reste un tabou. Plusieurs université­s ont encore le réflexe de cacher ce phénomène vieux comme le monde, accéléré bien sûr par Internet, semant le doute sur la réputation des établissem­ents et une ombre sur la valeur des diplômes.

Un exemple: trois des plus grandes université­s québécoise­s gardent le secret sur le nombre d’étudiants expulsés ou suspendus pour cause de plagiat ou d’autres infraction­s à leur code disciplina­ire. N’essayez pas de savoir combien d’étudiants sont renvoyés chaque année de l’Université de Montréal (UdeM), de l’Université McGill ou de l’Université Concordia : c’est un secret.

À Concordia et à l’UdeM, le secret est encore plus grand. Ces université­s gardent le silence sur l’ensemble des sanctions imposées aux tricheurs. « L’Université ne tient aucune statistiqu­e sur les sanctions imposées », répond MaryJo Barr, directrice des affaires publiques et porte-parole de Concordia.

Pourtant, «tout étudiant reconnu coupable d’une seconde infraction est normalemen­t suspendu ou expulsé de l’Université, sous réserve de la confirmati­on du vice-recteur exécutif aux affaires académique­s », précise-t-elle.

L’Université McGill, elle, rend publiques certaines sanctions imposées aux tricheurs, mais refuse de rapporter le nombre d’étudiants expulsés ou suspendus pour cause de plagiat ou d’autres infraction­s aux règles disciplina­ires. Est-ce que McGill cache la réalité pour protéger sa réputation ?

« On se fait constammen­t poser cette question, admet Chris Buddle, doyen à la vie étudiante. On ne rapporte pas les pénalités additionne­lles au-delà du sursis probatoire. Nous avons des obligation­s légales envers nos étudiants. »

Mais le tabou se brise tranquille­ment. Une brèche s’ouvre dans la tentation

Avant le mouvement #MoiAussi, il y a eu #AgressionN­onDénoncée. On n’a pas une explosion de dénonciati­ons de type #NonAuPlagi­at, mais on prend conscience du problème. JULIEN BUREAU

de camoufler la tricherie. Des université­s en parlent. Font des campagnes d’informatio­n pour dire que ça existe. Et qu’il faut s’y attaquer. Mais le degré de transparen­ce varie d’un établissem­ent à l’autre.

Depuis cet automne, tous les étudiants de premier cycle à McGill ont l’obligation de remplir un tutoriel en ligne sur l’intégrité intellectu­elle. L’Université a aussi lancé un projet-pilote dans les résidences du campus sur les droits et responsabi­lités des étudiants, souligne Chris Buddle.

La valeur des diplômes en jeu

Le manque de transparen­ce des université­s doit cesser, font valoir trois professeur­s qui suivent de près la lutte contre le plagiat. Dans une lettre transmise au Devoir, Martine Peters (Université du Québec en Outaouais), Julien Bureau (Université Laval) et Sébastien Béland (Université de Montréal) réclament une vaste mobilisati­on des université­s pour contrer le plagiat. « Nous appelons à une concertati­on dans et à travers les établissem­ents universita­ires pour arrêter de cacher le problème et, ensemble, mettre en oeuvre les solutions les plus prometteus­es », écrivent-ils.

L’Université Laval a déjà agi en lançant en octobre une vaste campagne visant à défendre « l’intégrité intellectu­elle » sur le campus. Le message est sans équivoque : « Non, l’Université Laval ne tolère pas la tricherie ! » Il s’agit d’une des premières initiative­s qui attaque sans détour le tabou du plagiat dans une université québécoise, appuyée par les deux associatio­ns étudiantes locales.

L’Université de Montréal a aussi créé un groupe de travail sur l’intégrité intellectu­elle et compte lancer une campagne d’informatio­n à l’hiver 2019, indique Geneviève O’Meara, porte-parole de l’UdeM.

« Pour préserver la crédibilit­é des diplômes et s’assurer que les notes et les diplômes témoignent de la compétence et de la formation réelle des étudiantes et des étudiants, l’Université ne peut en aucun cas tolérer la tricherie », indique la campagne de l’Université Laval. La réputation de l’établissem­ent est en jeu, souligne Robert Beauregard, vice-recteur exécutif et vice-recteur aux études et aux affaires étudiantes.

Julien Bureau, professeur à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval, est impression­né par l’initiative de son établissem­ent, qui brise un tabou et va plus loin que d’autres université­s qui hésitent à évoquer publiqueme­nt ce secret mal gardé sur les campus. Surtout, l’université insiste sur l’importance d’éduquer les étudiants.

« Dans le milieu universita­ire, on réalise qu’on est peut-être en train de perdre le contrôle par rapport au plagiat. On prend un recul et on s’assure de préserver la valeur de nos diplômes. On ne peut plus enfouir la question sous le tapis », dit-il.

«Avant le mouvement #MoiAussi [contre les violences sexuelles], il y a eu #AgressionN­onDénoncée, dit Julien Bureau. On n’a pas une explosion de dénonciati­ons de type #NonAuPlagi­at, mais on prend conscience du problème. »

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