Un discours pernicieux
La planète traverse actuellement la pire crise migratoire depuis celle apparue dans la foulée de la Seconde Guerre mondiale. Environ 260 millions d’humains ont quitté leur foyer pour échapper à toutes sortes de tourments ou améliorer leur sort. La grande majorité se retrouvent ailleurs dans leur pays ou dans un pays voisin. Une infime partie arrivent à fouler le sol canadien comme immigrants indépendants, membres de la famille, travailleurs temporaires ou demandeurs d’asile.
Tous cependant auront droit à un traitement modèle, le Canada ayant un des systèmes les plus élaborés, ordonnés et justes en la matière. Il est cité en exemple à travers le monde pour son équité procédurale et son professionnalisme.
L’arrivée de migrants irréguliers depuis l’hiver 2017 a semé le doute, mais ce n’est pas le système qui est défaillant, comme l’a démontré un rapport récent du directeur parlementaire du budget. Sous tous les gouvernements, il a souffert et souffre encore d’une insuffisance de ressources pour traiter sans délai ces dossiers particuliers. C’est là que le bât blesse.
À entendre les conservateurs fédéraux, visiblement influencés par Maxime Bernier et autres chantres d’une politique d’immigration plus restrictive, le gouvernement devrait simplement bloquer la route à ces migrants irréguliers. Mais aucun pays ne peut se mettre à l’abri ou freiner à lui seul les mouvements migratoires qui agitent la planète.
C’est pour cette raison que la plupart des pays membres des Nations unies se réunissent au Maroc lundi et mardi pour signer le nouveau Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières. Le Canada entend bien s’y associer, mais les conservateurs s’y opposent. Prenant le relais de Rebel.media et du chef du nouveau Parti populaire du Canada, Maxime Bernier, le chef conservateur Andrew Scheer laisse entendre que le Canada perdrait le contrôle de sa politique d’immigration. « Les Canadiens — et les Canadiens seulement — devraient décider qui vient dans notre pays et dans quelles circonstances, pas des entités étrangères comme l’ONU », a-t-il déclaré.
Le troisième principe directeur du document est pourtant clair. « Le Pacte mondial réaffirme le droit souverain des États de définir leurs priorités migratoires nationales et leur droit de gérer les migrations relevant de leur compétence, dans le respect du droit international. » Comme le fait déjà le Canada.
En entrevue au Devoir, l’ancien ministre conservateur de l’Immigration, Chris Alexander, invitait M. Scheer à rectifier le tir. Selon lui, ce pacte « n’est pas une menace pour le Canada parce qu[’il] est basé surtout sur notre expérience » et il peut avoir le mérite « d’encourager des dizaines, sinon des centaines de pays à légiférer et mieux réglementer leurs politiques d’immigration. Et si on fait ça, il y aura moins de migration irrégulière, moins de crises politiques causées par l’immigration, et cela, indirectement, est très bon pour le Canada ».
Ce pacte n’est pas parfait et verse à maintes occasions dans l’angélisme, mais ce qu’il espère réaliser est non seulement rationnel, mais nécessaire. Comme le confiait à l’AFP Louise Arbour, représentante spéciale de l’ONU pour les migrations, l’objectif est de « maximiser les bénéfices de la migration tout en mettant en lumière ses aspects négatifs et en limitant les pratiques migratoires chaotiques et dangereuses ».
En faisant leurs choux gras depuis des mois de l’arrivée de migrants irréguliers, en préconisant la méthode forte, en entretenant une impression fausse à propos du Pacte, Andrew Scheer ne cherche pas à calmer ni même à répondre aux inquiétudes d’une partie de la population, mais à nourrir une méfiance inutile. Voilà un jeu dangereux dans un pays d’immigration comme le Canada, où la cohésion et le vivre ensemble imposent de susciter une meilleure compréhension des enjeux liés au traitement et à l’intégration des nouveaux arrivants, pas à propager des faussetés.
Soumis à des pressions internes, bon nombre de pays qui cet été approuvaient le texte négocié s’opposent maintenant au Pacte ou hésitent à le signer. C’est désolant. Le Canada, lui, doit garder le cap. Il est écrit noir sur blanc que ce pacte « établit un cadre de coopération juridiquement non contraignant ». C’est avant tout une déclaration d’intention de la communauté internationale pour mieux encadrer ces mouvements de population. Comment peut-on être contre ?