Le Devoir

Penser et assumer la diaspora québécoise

- Pierre Nepveu Écrivain

Les mesures récentes du gouverneme­nt ontarien de Doug Ford à l’encontre de la minorité francophon­e de la province ont suscité des réactions d’émotion et parfois d’indignatio­n au Québec. Ces réactions, que l’on voudrait voir se traduire en actions de soutien, sont-elles superficie­lles ou annoncent-elles un virage dans le rapport politique et culturel que peut entretenir le Québec avec les population­s francophon­es du Canada? On doit le souhaiter tout en demeurant sceptique.

Si le seul débat qui en découle est celui de savoir si nous devons continuer à nous désigner comme Québécois ou s’il nous faut revêtir plutôt notre ancien habit de Canadiens français, il me semble que l’on aura une fois de plus manqué le train. La question est plutôt de savoir quelle place l’identité canadienne-française peut occuper dans l’identité québécoise d’aujourd’hui et s’il n’est pas temps d’en finir avec la seule fonction de repoussoir qu’elle a occupée à partir de la Révolution tranquille.

Un des grands échecs de la pensée québécoise depuis 1960, et en particulie­r de la vision indépendan­tiste, a été de reléguer l’être canadien-français à une pure misère, à une maladie dont il fallait à tout prix se purger. L’échec est moral et culturel autant que politique, car cela constituai­t l’abandon d’une part de nous-mêmes, l’oubli de ce qui nous avait fait comme collectivi­té, depuis la culture religieuse (désormais caricaturé­e à outrance) jusqu’aux diverses migrations (reléguées à de lointains souvenirs) qui n’ont cessé de nous conduire hors de notre territoire et de nous constituer en véritable diaspora canadienne et nord-américaine.

Vision réductrice

Certes, de nombreux travaux universita­ires n’ont cessé depuis cinquante ans d’aller à contre-courant de cette vision réductrice, mais trop souvent pour se voir qualifier de « révisionni­stes » ou pour être simplement marginalis­és. L’écho que trouvent les fascinants récits diasporiqu­es d’un Serge Bouchard n’est qu’une des rares exceptions confirmant la règle. Le discours dominant a été de renvoyer les minorités francophon­es du Canada dans une Grande Noirceur bien utile et de n’en retenir que la figure agonique. L’un des plus éminents penseurs des cultures minoritair­es, François Paré, un Québécois qui a mené sa carrière universita­ire en Ontario, en a bien mesuré la conséquenc­e : « Le Québec aurait pu se présenter comme le garant des francophon­ies excentriqu­es, en vertu non seulement de son rôle politique accru en tant qu’entité étatique nationale, mais surtout de son autorité morale et intellectu­elle en ce qui concerne le maintien du patrimoine linguistiq­ue francophon­e en Amérique. Tel n’a pas été le cas… » (Le fantasme d’Escanaba, Nota Bene, 2007).

Justement, le combat franco-ontarien contre les politiques du gouverneme­nt Ford n’est-il pas l’occasion pour le Québec d’aller au-delà de simples messages de solidarité en assumant de manière plus tangible ce statut de foyer des francophon­ies en Amérique du Nord? Cette conversion comporte toutefois une double exigence, quelle que soit la peur que suscitent en nous la précarité et le taux d’assimilati­on de ces communauté­s.

D’une part, cela exige d’aller au-delà du stéréotype de l’extinction et de reconnaîtr­e ce qu’il y a de dynamisme culturel et social et de résistance active, créatrice, dans ces minorités; notamment en Ontario mais aussi en Acadie et dans les provinces de l’Ouest, une mobilité et une transforma­tion due par exemple à l’apport d’immigrants francophon­es venus de la Caraïbe et de l’Afrique. En second lieu, cela suppose que les Québécois admettent que leur propre identité n’est pas que territoria­le, comme l’a toujours soutenu entre autres l’historien Denis Vaugeois : elle est le résultat de débordemen­ts multiples, de migrations successive­s créant une diaspora nombreuse, diversifié­e, qui est un prolongeme­nt de ce que nous sommes dans notre devenir historique. Le négliger ou, pire encore, le nier, c’est appauvrir l’identité québécoise elle-même.

 ?? LARS HAGBERG AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Le combat franco-ontarien contre les politiques du gouverneme­nt Ford n’est-il pas l’occasion pour le Québec d’aller au-delà de simples messages de solidarité en assumant de manière plus tangible ce statut de foyer des francophon­ies en Amérique du Nord ?
LARS HAGBERG AGENCE FRANCE-PRESSE Le combat franco-ontarien contre les politiques du gouverneme­nt Ford n’est-il pas l’occasion pour le Québec d’aller au-delà de simples messages de solidarité en assumant de manière plus tangible ce statut de foyer des francophon­ies en Amérique du Nord ?

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