Le Devoir

Un homme seul

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C’est en décembre 2014, alors que les sondages plaçaient les libéraux et les conservate­urs presque à égalité, que Justin Trudeau s’était engagé à renouer avec les rencontres annuelles avec les premiers ministres provinciau­x que Stephen Harper avait fini par bouder. Il faut dire que le mépris qu’affichait M. Harper envers certains de ses homologues provinciau­x, en commençant par Kathleen Wynne de l’Ontario, n’était pas à son honneur. Pour bon nombre de Canadiens, le chef conservate­ur était devenu un obstacle au bon fonctionne­ment de la fédération. L’engagement de M. Trudeau signalait pour plusieurs électeurs qu’une autre façon de gouverner, plus consensuel­le celle-là, était possible.

« Le fait que ce premier ministre ne s’entend pas avec les gens qui ne partagent pas son idéologie nous a nui non seulement à travers le pays avec les premiers ministres provinciau­x, mais sur la scène internatio­nale aussi », avait alors affirmé le chef libéral.

Devenu premier ministre lui-même en 2015, M. Trudeau a pu s’entendre d’abord avec ses homologues provinciau­x, puisqu’ils étaient presque tous au diapason. À part Brad Wall en Saskatchew­an, M. Trudeau pouvait compter sur des alliés dans la plupart des provinces, dont Mme Wynne en Ontario, Philippe Couillard au Québec et Rachel Notley en Alberta.

C’est surtout cette dernière qui a changé la donne en arrivant à la première rencontre des premiers ministres sous Justin Trudeau avec son plan visant à plafonner des émissions des gaz à effet de serre en provenance des sables bitumineux à 100 millions de tonnes en 2030. L’engagement albertain, qui mettait aussi un prix par tonne sur les émissions de GES dans sa province, fut la pièce maîtresse de ce qui devait devenir un plan national visant à atteindre les cibles canadienne­s en vertu de l’Accord de Paris que M. Trudeau allait signer en décembre 2015.

Trois ans plus tard, rien ne va plus entre les premiers ministres provinciau­x et M. Trudeau. Ce dernier s’est retrouvé bien seul alors qu’il accueillai­t ses homologues des provinces hier à Montréal. Ne pouvant plus compter sur des alliés comme Mme Wynne, M. Couillard ou Brian Gallant autour de la table, M. Trudeau a démontré qu’il n’est pas plus en mesure de s’entendre avec les premiers ministres qui ne partagent pas son idéologie que ne l’était M. Harper à l’époque où il entrait en collision avec

Mme Wynne et M. Couillard. Pour sa part, Mme Notley se sent trahie par le premier ministre. Elle s’était engagée à déposer un plan musclé pour restreindr­e la croissance des GES dans sa province, malgré l’opposition de plusieurs tenants de l’industrie pétrolière et des politicien­s conservate­urs, en échange d’un engagement de la part de M. Trudeau à veiller à ce qu’au moins un des projets de pipeline alors sur la planche à dessin voie le jour. Elle a maintenant raison de douter de la bonne foi de M. Trudeau, qui se dit pour l’expansion de l’oléoduc Trans Mountain vers le port de Vancouver, mais semble ne vouloir rien faire pour accélérer sa réalisatio­n.

Or, comme l’avoue lui-même M. Trudeau, l’Alberta traverse de nouveau une « crise » économique découlant de son incapacité à transporte­r son pétrole en dehors de la province. Mais en faisant l’ordre du jour de la rencontre de vendredi, le bureau de M. Trudeau ne voulait surtout pas que l’on s’attarde sur un sujet aussi délicat pour le premier ministre fédéral que celui des pipelines. C’est ainsi que la rencontre devait donner la priorité à une discussion sur les barrières commercial­es entre les provinces — une peccadille, selon Mme Notley, par rapport à la crise que traverse sa province ; une tentative d’éviter une discussion difficile sur la taxe fédérale sur le carbone qu’entend imposer M. Trudeau, selon tous ceux qui s’y opposent, en commençant par le premier ministre ontarien, Doug Ford.

Ce dernier, devenu l’ennemi public numéro un de M. Trudeau, peut compter sur l’appui du successeur de M. Wall, Scott Moe, mais aussi sur celui de Brian Pallister du Manitoba et sur celui de Blaine Higgs du Nouveau-Brunswick. Ce quatuor de chefs conservate­urs, auquel s’est jointe Mme Notley après que la Cour d’appel fédérale eut annulé le décret permettant la constructi­on de Trans Mountain en août dernier, fait maintenant front commun contre M. Trudeau.

Dans ce contexte, la rencontre d’hier ne pouvait qu’être un gaspillage de temps, ce qui n’a pas empêché M. Trudeau de sourire tout au long comme si de rien n’était. Il n’en demeure pas moins que les relations fédérales-provincial­es sont maintenant dans un pire état que sous M. Harper, et personne ne sait où loge le premier ministre fédéral sur un enjeu on ne peut plus fondamenta­l pour l’avenir du pays.

M. Trudeau, qui se voulait rassembleu­r, est devenu un homme seul.

Rien ne va plus entre les premiers ministres provinciau­x et M. Trudeau. Ce dernier s’est retrouvé bien seul alors qu’il accueillai­t ses homologues des provinces hier à Montréal.

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