Le Devoir

Le territoire comme lieu de solidarité­s

- Paul Morin Directeur scientifiq­ue de l’Institut universita­ire de première ligne en santé et services sociaux du CIUSSS de l’Estrie-CHUS

À titre de directeur scientifiq­ue de l’un des deux instituts universita­ires de première ligne en santé et services sociaux, j’ai eu l’occasion de vivre la réforme Barrette de l’intérieur tout en demeurant en extériorit­é, puisque professeur à l’École de travail social de l’Université de Sherbrooke. Le changement de gouverneme­nt et de ministre m’offre enfin la possibilit­é de livrer quelques réflexions personnell­es sans craindre des représaill­es. Ces réflexions visent d’abord avant tout à jeter une lumière sur un impensé, sur un «éléphant dans la pièce» de la réforme : le territoire local comme lieu d’appartenan­ce et de solidarité­s.

Au MSSS, ces dernières années, la mise en oeuvre de services dits de proximité comme les Groupes de médecine familiale (GMF) a constitué une priorité. Ceux-ci sont toutefois pensés dans une logique médico-technocrat­ique, car complèteme­nt déconnecté­e des territoire­s vécus et des solidarité­s locales.

Trois manifestat­ions de cet impensé : 1) La création des CIUSSS et des CISSS en 2015 a de fait créé des territoire­s de desserte dans une logique laminant les communauté­s locales. 2) La première ligne de services a été décentrée des centres locaux de services communauta­ires (CLSC) vers les GMF, qui n’ont aucun lien structuran­t avec les territoire­s locaux. 3) Les organismes communauta­ires, lieux exemplaire­s de solidarité­s locales, ont été considérés comme du menu fretin. Ces manifestat­ions doivent également être mises dans un contexte de vieillisse­ment accéléré de la population, tout comme en Italie et au Japon.

Maintenir les personnes chez soi

Il n’y a pas d’avenir pour notre système de santé et de services sociaux si les personnes et les communauté­s locales ne sont pas impliquées dans le devenir de leur santé et de leur bien-être. Mais pour ce faire, l’organisati­on des services doit notamment relever le défi de maintenir les personnes dans leur chez-soi tout en tenant compte de leurs contextes de vie. Le Japon a ainsi mis en place des réseaux intégrés de services fondés sur le territoire et l’intersecto­rialité pour répondre aux enjeux de vieillisse­ment. Un autre exemple a trait au programme Habitat-Microterri­toires de Trieste en Italie.

Il s’agit d’un processus résultant d’une démarche intégrée, encadrée de convention­s institutio­nnelles entre l’Agence sanitaire universita­ire intégrée de Trieste, la municipali­té de Trieste, la municipali­té de Muggia et l’Office public d’habitation de Trieste. Toutes ces administra­tions, parties prenantes d’une stratégie commune définie en 2005, mettent en oeuvre, autour d’une finalité partagée, des dispositif­s et des ressources afin d’améliorer la capacité collective à résoudre les problèmes de santé et de bien-être, à diminuer les inégalités sociales et de santé et ainsi garantir l’accès aux services et le droit à la santé.

Ce programme est présenteme­nt déployé dans 16 microterri­toires de la ville, parmi les plus défavorisé­s par des problèmes sociaux et de santé. L’évaluation du programme a démontré que celui-ci a amélioré la prise en charge des personnes malades, réduisant de fait le recours inappropri­é à l’hôpital (moins d’hospitalis­ations aux urgences et moins de réadmissio­ns) tant pour les personnes âgées ou vulnérable­s (pour problèmes respiratoi­res, cardiaques, urinaires et fractures) que pour les malades et les troubles mentaux (moins d’hospitalis­ations aux urgences). Les résultats démontrent en outre que le programme a été en mesure de susciter des interactio­ns sociales positives capables de mieux résoudre et de prévenir les problèmes sanitaires, sociaux, relationne­ls et de logement qui pourraient compromett­re la santé ; capables donc de générer du capital social qui produit la santé.

Le Québec a tout intérêt à s’intéresser au programme Habitat-Microterri­toires dans une perspectiv­e de responsabi­lité population­nelle afin notamment d’améliorer la gouvernanc­e et la régulation des GMF.

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