Le Devoir

Plongée en Nouvelle-France

Joyau patrimonia­l montréalai­s, la maison Saint-Gabriel révèle les hauts et les bas de l’histoire

- MICHEL LAPIERRE COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Maison Saint-Gabriel Un musée, une histoire et des jardins ★★★ 1/2 Micheline Lachance, Les Éditions La Presse, Montréal, 2018, 224 pages

À Montréal, dans un décor resté champêtre de Pointe-Saint-Charles, l’imposante maison Saint-Gabriel, acquise d’un cultivateu­r aisé par Marguerite Bourgeoys en 1668 pour assurer l’autosuffis­ance agricole de sa communauté d’institutri­ces, recrée l’histoire de la Nouvelle-France. Ses pierres, ses meubles, son évier, son four à pain, son puits évoquent, par le musée qu’elle est devenue, l’origine démographi­que du Québec et la gageure de la gratuité scolaire.

Vulgarisat­rice de haut niveau, l’historienn­e et romancière Micheline Lachance, à l’aide d’archives, restitue dans un récit très vivant 350 ans d’évolution à travers de multiples photos, surtout en couleurs. Documents anciens, reconstitu­tions d’époque par des personnage­s costumés, dessins de Francis Back appuyés sur de l’érudition, détails d’architectu­re, aperçus des jardins se succèdent pour faire de Maison Saint-Gabriel un album splendide doublé d’une mine de renseignem­ents.

Marguerite Bourgeoys accueille dans la maison plusieurs Filles du roi, ces pupilles de Louis XIV envoyées par la France entre 1663 et 1673 pour peupler le Canada, qui souffre d’un grave manque de filles à marier par rapport à une nombreuse population masculine encore célibatair­e. Ces jeunes femmes saines, pauvres, en général orphelines, sont issues des milieux populaires. Seules près de 15% d’entre elles viennent de la noblesse ou de la bourgeoisi­e, proportion normale dans la France de l’époque.

L’action de Marguerite Bourgeoys auprès des Filles du roi impression­ne jusqu’à Louis XIV. Comme le souligne Micheline Lachance, le roi écrit au sujet de la religieuse de qui il approuve la congrégati­on qu’elle vient de fonder à Montréal: «Non seulement elle a fait l’exercice de maîtresse d’école en montrant gratuiteme­nt aux jeunes filles tous les métiers qui les rendent capables de gagner leur vie, mais, loin d’être à charge au pays, elle a fait construire des corps de logis, défricher des concession­s, aménager une métairie. »

Le sens intercultu­rel de la démocratis­ation avant la lettre et l’esprit d’entreprise honorent Marguerite Bourgeoys. Détail coloré: l’historienn­e rappelle que l’enseignant­e inventa la succulente tire SainteCath­erine pour attirer, c’est le cas de le dire, les petits Amérindien­s à son école du Vieux-Montréal naissant.

Pince-sans-rire et diplomate, Micheline Lachance décrit les audaces et, plus tard, le conservati­sme mièvre de nos chères «bonnes soeurs». Amie contemplat­ive de la femme d’action Marguerite Bourgeoys, la recluse Jeanne Le Ber aurait fait par ses prières, disait-on, échouer une tentative d’invasion britanniqu­e du Canada en 1711.

Mais, en 1838, une fille spirituell­e de la fondatrice de la maison SaintGabri­el peindra les armoiries de lord Durham pour honorer en lui la domination paternalis­te anglaise qui règne alors sur le pays!

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR À l’aide d’archives, Micheline Lachance restitue dans un récit très vivant 350 ans d’évolution de l’imposante maison.
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