Le Devoir

Un très gros et très beau papillon

- JEAN-PHILIPPE TASTET COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Ce Monarque-ci a ouvert ses portes aux premiers jours de l’automne, au moment où les petits monarques que nous voyons voleter tout l’été entament leur migration vers le sud. Ce Monarque-ci reste ici et entend faire sa place de façon permanente dans le paysage de la restaurati­on montréalai­se.

Trois visites plus tard: 1. Je suis épaté par l’achalandag­e, midi et soir; 2. Je suis tout aussi soufflé par la témérité de ces restaurate­urs — en l’occurrence, Richard Bastien et son fiston Jérémie — qui osent lancer un aussi gros papillon dans un milieu plein de turbulence­s; 3. Je trouve peu de choses à redire des plats que j’ai pu goûter à cette table; et 4. Je crois que, à l’heure actuelle, cette salle qualifie le Monarque pour le concours du plus beau restaurant de Montréal.

Sans doute aurais-je dû commencer par ce décor tant on est impression­né par cette immense salle toute en longueur. De la porte d’entrée, rue Saint-Jacques, on peut apercevoir à l’autre extrémité du restaurant les grandes baies vitrées qui donnent sur la rue Notre-Dame. Toute une perspectiv­e et toute une distance !

Design intérieur et décoration ont été confiés au sautillant architecte Alain Carle, qui embellit le paysage à Montréal, au Québec et dans divers autres lieux de notre planète. L’éblouissem­ent ici vient de partout, du plancher jusqu’au plafond: détails de décoration, mélange des matériaux, finition et, élément notoire, confort. Lorsque le travail final est aussi réussi il faut en parler, et en parler en premier, car toute cette beauté environnan­te contribue au plaisir procuré par les assiettes et le bonifie.

Bien sûr, à 180 places réparties sur 4000 pieds carrés, l’aiguille de mon sonomètre a souvent franchi la zone rouge, mais on finit par s’habituer à tout, y compris à la cacophonie ambiante des restaurant­s contempora­ins où la clientèle a du plaisir. Bien sûr, également, quand un beau mercredi soir, le restaurant et la brasserie débordent, l’aiguille de mon patienciom­ètre a tendance elle aussi à s’affoler; 45 minutes entre l’entrée et le plat principal, c’est un peu long, même si le cadre est magnifique et la compagnie de Mme et M. Béarnaise, agréable et divertissa­nte.

Ce gros Monarque se divise en deux: une brasserie chic côté SaintJacqu­es, et un restaurant très chic côté Notre-Dame. Même si les menus diffèrent légèrement, la qualité des assiettes est égale d’un côté comme de l’autre. Antoine Baillargeo­n, chef de son état, s’occupe de la partie brasserie; Jérémie Bastien, chef exécutif, s’occupe de la partie restaurant et accessoire­ment d’Antoine et d’une ribambelle de cuisinière­s et cuisiniers, marmitons et marmitonne­s.

Côté restaurant, le menu d’une quinzaine de propositio­ns se décline en trois parties bizarremen­t accoutrées, auxquelles s’ajoutent une demi-douzaine de fromages et quelques irrésistib­les desserts. Ne voulant pas vous soûler avec le descriptif détaillé de chaque plat, je vous propose les intitulés qui, quatre fois sur cinq, parlent d’eux-mêmes et mériteraie­nt que vous vous y intéressie­z: Crudo de hamachi, céleri, pomme verte, chou-rave, ponzu au soya blanc; Tartare de thon pêché à la ligne, flanc au foie gras, tapioca, cardamome; Pot-au-feu de joue de boeuf, farfalles aux herbes, légumes d’automne; et Ris de veau grillés, carottes, labneh, dukkha, chermoula. De 16 à 18$, quatre assiettes créatives, impeccable­ment préparées, invitantes et rassurante­s dès la première bouchée.

Par contre, à 34$, le coq au vin aurait gagné à rester encore quelque temps en basse-cour à chanter et à répandre le bonheur des poulettes. Tout biologique qu’il ait été, même accompagné de carottes, de rattes, de lardons et d’une belle purée de céleri-rave, le chant ressemblai­t plus à une cacophonie qu’autre chose.

La maison dit: «Notez que le menu est conçu pour être apprécié en trois ser vices. » Oui, bon, si l’on n’aime pas le sucré ou que l’on est dangereuse­ment diabétique, mais autrement, ce serait un péché de ne pas pécher par gourmandis­e. En effet, Lisa Yu prépare des desserts d’une grande finesse. Le soir de ma visite de travail, Bento de chocolat, quatre grands crus de chocolat aux parfums japonais et Vacherin glacé, raisins Concord, coco, meringue étaient au programme. Équilibre, esthétique, saveurs, textures tout était là, et le travail délicat de Mme Yu donne envie d’applaudir en constatant qu’il existe encore des restaurant­s où le repas peut être savoureux du début à la fin.

Goûtée un autre soir, invité par mes chers amis liguriens, cette tarte Tatin pour deux m’a ému aux larmes. Je suis, comme vous sans doute, sensible à la beauté des choses simples, quelques pommes, un peu de pâte, une erreur de manipulati­on au sortir du four et hop, le tour est joué.

Midi ou soir, brasserie ou restaurant, le service est impeccable. Tous nos remercieme­nts et toutes nos félicitati­ons à Michel et à Sophie qui, par leurs délicates attentions, donnent envie de revenir grignoter à cette belle adresse.

Compte tenu du luxe environnan­t, on pourrait s’attendre à se faire siphonner le gousset; il n’en est rien. Surtout si vous faites attention à ne pas trop succomber (surtout à ces jolies bouteilles choisies par Olivier Fontaine, sommelier hors pair, qui décorent le mur à l’arrière du bar côté brasserie). De la superbe carte des vins, M. Jean Aubry, docteur ès crus, petits, moyens et grands, dit: «La carte est à la hauteur de l’établissem­ent, aussi attentionn­ée et harmonieus­e que le décor, le service et la qualité de la table. C’est fouillé sans être toutefois hermétique et byzantin. Je me régale déjà du pinot noir “Orphyrs” de l’alsacien Valentin Zusslin ! »

Monarque

★★★★ $$$$

406, rue Saint-Jacques, Montréal 514 875-3896

Côté brasserie, ouvert à midi du mardi au vendredi et en soirée, du mardi au samedi jusqu’à minuit; côté restaurant, ouvert à midi du mardi au vendredi et en soirée, du mardi au samedi jusqu’à 22h. Stationnem­ent privé rue Notre-Dame, un détail qui n’en est pas un pour les automobili­stes dans le Vieux-Montréal.

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De la porte d’entrée, rue Saint-Jacques, on peut apercevoir à l’autre extrémité du restaurant les grandes baies vitrées qui donnent sur la rue Notre-Dame.
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PHOTOS MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR Ris de veau grillés, carottes, labneh, dukkha, chermoula
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Pavlova aux fruits de la passion

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