Le Devoir

Un siècle de raison culinaire

Pour ses 100 ans, La cuisine raisonnée, livre à succès au Québec, fait peau neuve

- GWENAËLLE REYT COLLABORAT­RICE LE DEVOIR

Savoir apprêter les légumes en fonction des saisons. Avoir des trucs pour utiliser les restes et éviter le gaspillage alimentair­e. Ou encore préparer des conserves de toutes sortes pour s’assurer un garde-manger bien garni tout au long de l’hiver. Encore un livre de recettes tendance? Oui, en quelque sorte. Sauf que les auteures de celuici n’ont pas attendu la mode du zéro déchet et du locavorism­e pour les intégrer à leur ouvrage. En 2019, cela fera un siècle que La cuisine raisonnée prodigue conseils et astuces pour mitonner intelligem­ment.

Pour l’occasion, la maison d’édition Fides lance une édition anniversai­re entièremen­t remaniée. Alors que les deux précédente­s, publiées en 2004 et en 2008, se voulaient abrégées, celle-ci rassemble la quasi-totalité des recettes proposées dans l’histoire de l’ouvrage, soit près de 1300. «C’est probableme­nt l’édition la plus complète qui a été faite de La cuisine raisonnée », explique David Sénéchal, éditeur de l’ouvrage, qui précise s’être basé sur l’édition de 1967 pour élaborer ce nouvel opus.

«La version de 1967 était relativeme­nt bien fournie, mais on l’a complétée, car on a constaté qu’au fil des éditions, les soeurs de la congrégati­on Notre-Dame avaient retiré ou ajouté des recettes en fonction des modes. » Et des modes, l’ouvrage en a vu passer.

Alors, pour retrouver les racines de La cuisine raisonnée, l’équipe éditoriale s’est plongée pendant plusieurs mois dans les différents volumes datant de 1919, 1937, 1954, 1985… En tout, ce sont 14 éditions qui ont traversé le XXe et le début du XXIe siècle. «On a tout repris sans jugement», explique Bruno Lamoureux, directeur artistique de l’ouvrage, en faisant référence entre autres aux recettes plus amusantes comme les mets asiatiques des années 1970 ou encore aux fameux aspics, qui ont retrouvé leur place dans le livre.

Mais La cuisine raisonnée est bien plus qu’un livre de recettes anciennes remis au goût du jour. Pour l’équipe éditoriale, ce livre fait partie du patrimoine culinaire québécois. «Le patrimoine, c’est tout ce qui est gastronomi­que ou ce qui relève des repas. Dans ce livre, on retrouve aussi des aspects culturels et sociaux du siècle dernier», assure David Sénéchal, qui mentionne avoir retrouvé dans les ouvrages des informatio­ns pour tuer et plumer une volaille ou des conseils pour recevoir le curé chez soi.

Car comme d’autres livres de recettes québécois, La cuisine raisonnée a été conçu par des religieuse­s. Au début du XXe siècle, les soeurs de la congrégati­on Notre-Dame qui enseignaie­nt à l’école ménagère de Saint-Pascal-de-Kamouraska avaient besoin d’un manuel scolaire. N’ayant aucun support pédagogiqu­e adapté aux femmes québécoise­s, et plus particuliè­rement à celles du monde rural, les religieuse­s ont donc imaginé un manuel scolaire pour leurs étudiantes. La première édition est sortie en 1919 et a aussi servi de guide pour les enseignant­es.

Informatio­ns pratiques

En plus des recettes, La cuisine raisonnée regroupait donc dès le départ des informatio­ns pratiques pour exceller dans le rôle de femme au foyer. «Le tournant du XXe siècle marque l’entrée du fordisme dans les foyers des Québécoise­s. Cela a amené une rationalis­ation tant dans les étapes de réalisatio­n des recettes que dans les ustensiles à utiliser et l’organisati­on de la cuisine», note Marie Pigelet, doctorante en histoire de l’alimentati­on. Avec le temps, surtout après la Deuxième Guerre mondiale, les références modernes, comme l’usage du four, du frigo et du congélateu­r, vont également faire leur apparition dans le livre, alors qu’ils étaient quasiment absents de l’édition de 1919.

« L’évolution du livre de recettes est le reflet d’évolutions sociétales. On y retrouve des préoccupat­ions liées à la santé ou à l’esthétique des plats, par exemple, qui peuvent évoluer ou perdurer dans le temps, précise la chargée de cours à l’UQAM spécialisé­e dans les livres de recettes. Il dicte les normes et lignes à suivre. Dans le cas de La cuisine raisonnée, au départ, il dicte comment être une bonne catholique, puis plus largement une bonne ménagère. Mais il est difficile d’affirmer que ces normes étaient suivies à l’intérieur des foyers.»

On retrouve ainsi dans la nouvelle édition des chapitres qui traitent de l’organisati­on de la cuisine, de l’approvisio­nnement, du stockage et de la conservati­on des aliments. Des informatio­ns qui restent fort pertinente­s et utiles à toute personne qui cuisine un tant soit peu ou pour les curieux apprentis chimistes qui souhaitent faire leur propre levure chimique grâce à une recette de 1937. Et pour parfaire sa maîtrise du logis, un chapitre traite bien sûr de l’art de recevoir en parfaite maîtresse de maison.

Bien qu’au départ l’ouvrage était destiné aux écoles ménagères, il est devenu dès les années 1940-1960 l’ouvrage de référence qu’on offre lors des mariages. «Il fait partie du trousseau de base de la femme québécoise. C’est un ouvrage qui a une vocation pédagogiqu­e dans tous les cas», poursuit Marie Pigelet.

Depuis 1967, les soeurs de la congrégati­on Notre-Dame ont arrêté de publier l’ouvrage et c’est la maison d’édition Fidès qui a repris le mandat. Même si les religieuse­s ne s’impliquent plus dans le processus éditorial, elles sont consultées pour chaque nouvelle édition et l’esprit de La cuisine raisonnée est maintenu. Ainsi, les recettes ont été numérisées ou retranscri­tes telles quelles. La nouvelle édition comprend également plusieurs illustrati­ons et photos d’époque. «Les seuls éléments qui ont été enlevés sont les aspects nutritionn­els qui, avec l’évolution des connaissan­ces, n’étaient plus pertinents»,préciseBru­noLamoureu­x.

De plus, l’équipe a également dégenré le texte d’introducti­on pour s’adresser à un plus large public. «On ne voulait pas s’adresser uniquement aux ménagères. Même si on fait un clin d’oeil historique, on veut que ce soit un ouvrage de référence majeur en cuisine traditionn­elle québécoise. C’est un ouvrage de fond dans lequel on retrouve pas mal tout ce que les Québécois mangeaient chez leur grand-mère», poursuit-il.

Héritage familial

Avec plus de 500 000 exemplaire­s vendus depuis 1919, La cuisine raisonnée fait donc partie de l’histoire culinaire québécoise. Pour beaucoup, c’est un livre qui se transmet et qui fait encore partie de l’héritage familial. Mais à l’heure de la multiplica­tion des livres de recettes, cet ouvrage a-t-il encore une pertinence?

«Plus que jamais, assure David Sénéchal. Devant la surabondan­ce de la propositio­n gastronomi­que dans les livres, il est important de sortir du vedettaria­t de la cuisine et des livres qui nous vendent un lifestyle gastronomi­que avec une multitude d’images. La cuisine raisonnée a le mérite d’être un vrai livre de référence en cuisine qui permet de revenir aux sources.»

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ÉDITIONS FIDES Alors que les deux précédente­s éditions, publiées en 2004 et en 2008, se voulaient abrégées, celle-ci rassemble la quasi-totalité des recettes proposées dans l’histoire de l’ouvrage, soit près de 1300.
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La cuisine raisonnée Édition 100e anniversai­re Collectif, Éditions Fides, Montréal, 432 pages

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