Le Devoir

Le caillou dans le soulier du ministre de l’Éducation

- Marc St-Pierre Chargé de cours en administra­tion scolaire à l’Université du Québec en Outaouais, consultant en éducation et directeur général adjoint de commission scolaire (retraité)

Le gouverneme­nt Legault, lié par une vieille promesse adéquiste, se donne deux ans pour rayer les commission­s scolaires du paysage québécois. Mais faire disparaîtr­e un gouverneme­nt local voué aux choses de l’éducation, moins de démocratie, moins de contrepouv­oirs pour faire équilibre, est-ce vraiment une bonne idée ? Bien sûr, on dira que peu de gens se déplacent pour élire des commissair­es, mais on évitera d’implanter des solutions connues pour améliorer cette participat­ion.

On évitera également de mentionner qu’il y a encore moins de personnes qui se déplacent pour élire des représenta­nts aux conseils d’établissem­ent des écoles primaires et secondaire­s. Le déficit de légitimité des membres des conseils d’établissem­ent et, par conséquent, celui des comités de parents et des commissair­es-parents seraient, selon la même logique, plus importants encore que celui des commissair­es. Cela n’empêche pourtant pas le ministre de l’Éducation, partisan de l’autonomie et de la décentrali­sation, de vouloir leur accorder des pouvoirs élargis.

Il est par ailleurs intéressan­t d’entendre le ministre aborder justement cette question de pouvoirs : certains de ceux appartenan­t aux anciens conseils des commissair­es, seraient dévolus aux écoles, là où on « connaît les élèves par leurs noms » (sic), d’autres rapatriés au ministère de l’Éducation, vers des gens « dont on ne connaît pas le nom ». Ce qu’on réalise en fait, c’est qu’il y aura certes un peu plus de pouvoirs dans les écoles, plus de pouvoirs au ministère et globalemen­t moins de pouvoirs dans les régions.

Sous le couvert de l’autonomie des écoles, de la décentrali­sation, ce dont on risque d’hériter, c’est d’une plus grande centralisa­tion des pouvoirs à Québec, entre les mains du ministre, ce que sentent très bien à juste titre les leaders de la minorité anglophone. Bref, comme l’écrivait Jean-Pierre Proulx, on veut décentrali­ser d’un côté et centralise­r de l’autre. Il serait pourtant possible dans le cadre actuel, sans interventi­on extérieure, de conférer plus de pouvoirs aux écoles que ne leur en donnera jamais le ministre. Pour cela, les commission­s scolaires n’auraient qu’à revoir leurs règlements de délégation de fonctions et de pouvoirs, et je les invite à envisager cette avenue pour préserver l’autonomie régionale en matière de gouvernanc­e scolaire.

Nécessaire­s arbitrages

Rénover, construire des classes ou des écoles, recruter du personnel, ajouter des groupes spécialisé­s, déployer les maternelle­s quatre ans, répartir les ressources, pour ne nommer que cela, requiert une bonne connaissan­ce du terrain, une vision d’ensemble, une sensibilit­é vis-à-vis des enjeux et des acteurs locaux, une coordinati­on régionale et à l’occasion, de nécessaire­s arbitrages. Or, ces fonctions sont actuelleme­nt assurées par les commission­s scolaires… qu’on se propose d’abolir. Si le ministre Roberge considère les commission­s scolaires comme un simple caillou dans le soulier qu’il suffit de retirer pour que le système puisse bien « marcher », le réveil risque d’être brutal : c’est lui qui risque de se retrouver pieds nus dans un champ de petits grains de calcaire émoussés, un champ de gravelle.

Ce que se propose de réaliser le ministre en matière de gouvernanc­e ne s’appuie sur aucune étude, aucune donnée scientifiq­ue digne de ce nom, que sur un effet de mode et des préjugés, qu’il a lui-même alimentés. C’est assurément la conclusion à laquelle arriverait un Institut scientifiq­ue indépendan­t. Un avis de cet Institut, annoncé par le précédent gouverneme­nt et promis par la CAQ lors des élections, serait bien utile avant qu’on se lance dans des changement­s dont les effets sont plus qu’incertains.

Le ministre Roberge, lorsqu’il dit vouloir s’inspirer de l’Ontario pour implanter les maternelle­s 4 ans universell­es de l’école obligatoir­e jusqu’à 18 ans, ou un Ordre des enseignant­s, nous rappelle que cette province a eu la sagesse d’appuyer ses réformes sur des données issues de recherches rigoureuse­s. Mais il omet sciemment de mentionner que nos voisins ont eu la sagesse, en s’appuyant sur la recherche, de miser sur leurs commission­s scolaires et les élus qui les dirigent pour déployer efficaceme­nt les changement­s qui ont mené à une augmentati­on plus que substantie­lle des taux de diplomatio­n. Ce que nous voulons pour nos jeunes.

En relançant des débats de gouvernanc­e qui nous mèneront jusqu’en Cour suprême, on risque fort de faire reculer la réussite au Québec, comme chaque fois où, dans l’histoire, on a délaissé la mission éducative pour se concentrer sur les structures. Si cela arrivait, la CAQ aura, avec ses réformes, fait reculer la réussite ce que n’aura même pas réussi le PLQ avec ses mesures d’austérité.

Newspapers in French

Newspapers from Canada