Le Devoir

Proche aidant, veut, veut pas

Une personne sur quatre joue ce rôle, parfois sans le savoir

- ISABELLE PORTER À QUÉBEC

Àpartir de combien d’heures de soins par semaine devient-on un proche aidant ? Est-ce un rôle strictemen­t réservé à la famille ? Avec son projet de Politique pour les proches aidants, la ministre Marguerite Blais doit d’abord s’atteler à la difficile tâche de définir qui elle englobera. « J’espère que la politique va contenir une définition claire », a lancé Luc Chulak du Regroupeme­nt des aidants naturels lors de la consultati­on qui s’est tenue mardi à l’Université Laval. « La personne qui offre des services de popote et va faire des visites à domicile, elle apporte de l’aide, mais ce n’est pas un proche aidante. Ça prend un lien significat­if. »

L’Université Laval était l’hôte mardi d’une vaste consultati­on sur le sujet. Environ 200 proches aidants et représenta­nts d’organismes y participai­ent pour nourrir la réflexion du gouverneme­nt sur sa future Politique nationale pour les proches aidants.

Le proche aidant typique prend soin d’un parent âgé en perte d’autonomie. Or, la consultati­on a aussi permis d’entendre de nombreux parents de jeunes

lourdement handicapés, et il a été question des gens qui ont des proches avec des problèmes de santé mentale ou de toxicomani­e.

Selon une enquête de 2012 de Statistiqu­e Canada, 28 % des Canadiens de 15 ans et plus jouent un rôle de proche aidant. C’est-à-dire qu’au cours de l’année précédente, ils « ont fourni des soins à un proche ayant un problème de santé de longue durée, une incapacité ou des problèmes liés au vieillisse­ment ».

Pour qu’on parle de proche aidance, il faut que cela touche une «personne qui a besoin d’aide de façon significat­ive », croit Sophie Éthier, professeur­e à l’École de travail social de l’Université Laval et experte dans le domaine participan­t à la consultati­on. «Aller porter de la soupe à ma mère pour lui faire plaisir, ça ne fait pas de moi une proche aidante. Elle n’a pas besoin de ma soupe pour vivre ou survivre. Il faut que ce geste soit nécessaire à sa survie, son équilibre. »

Le déni

Mme Éthier soupçonne néanmoins que les statistiqu­es sous-estiment le phénomène. Elle mentionne notamment que beaucoup refusent de se voir comme des proches aidants et font du déni. « Les gens ont souvent “une résistance inconscien­te” à s’identifier », a-t-elle souligné.

Le père d’un enfant handicapé est d’ailleurs intervenu mardi pour souligner à quel point les hommes étaient réticents à se reconnaîtr­e comme proches aidants. « La plupart des papas évitent tout simplement le sujet », a-t-il dit en invitant le gouverneme­nt à montrer plus de pères avec leurs enfants handicapés dans ses publicatio­ns.

Pourquoi cette réticence? Notamment parce que cela revient à reconnaîtr­e « l’irréversib­ilité » de la condition de la personne aidée et la situation de dépendance dans laquelle elle se trouve, a expliqué Mme Éthier.

Pour l’artiste Chloé Sainte-Marie, les gens ne veulent pas se voir comme des proches aidants parce que « c’est se reconnaîtr­e comme esclave », a-t-elle dit avant d’évoquer les dix-sept ans de « combat terrible » où elle a pris soin de soin conjoint Gilles Carle. «L’aidante est la pierre angulaire du système de santé », a-t-elle ajouté.

Fin 2019

En matinée, la ministre responsabl­e des Aînés et des Proches aidants, Marguerite Blais, a dit qu’elle se donnait jusqu’à fin 2019 pour concevoir sa politique. Elle a aussi souligné qu’elle souhaitait que l’exercice soit non partisan.

Pour soutenir les proches aidants, une pléthore de moyens a été suggérée. Des participan­ts ont notamment évoqué les problèmes liés à confidenti­alité. Une dame mariée à un homme aphasique a parlé de « ses accrochage­s avec la banque ». « On voudrait être reconnus comme partenaire­s, qu’on arrête la confidenti­alité. »

Cet enjeu se pose encore plus du côté médical. « Le dossier médical est au nom de la personne aidée », a précisé la professeur­e Éthier en entrevue. « Si ma mère souffre d’alzheimer et que j’appelle le médecin pour avoir des informatio­ns, on ne me les donnera pas. » Selon elle, il faudrait constituer une « sorte de dossier de la dyade aidant-aidé avec des informatio­ns partagées. Cela permettrai­t en outre d’évaluer en même temps autant les besoins de l’aidant que ceux de l’aidé ».

Une demande qui serait déjà exaucée puisque Mme Blais s’est engagée à y répondre en fin de journée. « Je vous promets qu’il y aura un dossier pour le proche aidant ! » a-t-elle déclaré.

Beaucoup ont insisté sur le manque de services de répit et d’aide à domicile souples, et ce, dans toutes les régions. Une femme, dont le fils de 26 ans est lourdement handicapé, a mentionné avoir « passé une quarantain­e de personnes depuis qu’il est né». «Il faudrait trouver une façon d’attirer et retenir ces personnes avec des salaires qui ont du bon sens. »

De nombreux intervenan­ts ont aussi plaidé pour un «observatoi­re de la proche aidance » et de l’offre de formations. Enfin, certains ont souligné qu’il y avait d’excellents services offerts, mais que certains étaient méconnus ou cloisonnés. Ce qui a fait dire à une participan­te qu’« avant de créer du neuf », il fallait « regarder ce qui fonctionne le mieux ».

Aller porter de la soupe à ma mère pour lui faire plaisir, ça ne fait pas de moi une proche aidante. Elle n’a pas besoin de ma soupe pour vivre ou survivre. Il faut que ce geste soit nécessaire à sa survie, » son équilibre. SOPHIE ÉTHIER

L’aidante est la pierre » angulaire du système de santé

CHLOÉ SAINTE-MARIE

 ?? PIERRE DURY ?? Chloé Sainte-Marie et son amoureux Gilles Carle, dont elle a été la proche aidante jusqu’à son décès. Une maison de répit mise sur pied par la chanteuse porte d’ailleurs le nom du réalisateu­r.
PIERRE DURY Chloé Sainte-Marie et son amoureux Gilles Carle, dont elle a été la proche aidante jusqu’à son décès. Une maison de répit mise sur pied par la chanteuse porte d’ailleurs le nom du réalisateu­r.

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