Le Devoir

Un congédieme­nt honteux

- Michel Seymour Philosophe et professeur

Le directeur général de la commission scolaire de la Seigneurie-des-Mille-Îles (CSSMI), Jean-François Lachance, la présidente Paule Fortier ainsi que le directeur adjoint aux ressources humaines François Grégoire devraient être réprimandé­s pour le geste odieux qu’ils viennent de poser en décidant de renvoyer l’enseignant­e Kathya Dufault. Cette dernière a dit la vérité au sujet des conditions scandaleus­es dans lesquelles se pratique l’enseigneme­nt de l’école publique dans ses programmes réguliers.

Comment peut-on congédier une personne qui témoigne de sa situation au sein d’une institutio­n publique financée par les contribuab­les ? Son opinion n’est-elle pas d’intérêt public? Oui, mais les profs, les enseignant­s et les chargés de cours qui travaillen­t dans les écoles, les collèges et les université­s font face ici comme ailleurs à une dérive entreprene­uriale des établissem­ents d’enseigneme­nt.

La conception entreprene­uriale de l’école, du collège et de l’université conduit à une conception étroitemen­t entreprene­uriale des relations entre les dirigeants et les professeur­s, enseignant­s et chargés de cours. On tente depuis plusieurs années d’imposer un devoir de loyauté. Le fameux devoir de loyauté est déjà depuis un certain temps une norme qui pend au-dessus de la tête des profs de collège comme une épée de Damoclès. C’est aussi ce que tente d’imposer la direction de l’Université de Montréal auprès de son corps enseignant en essayant de s’accaparer

Ce sont les dirigeants qui devraient être réprimandé­s pour avoir manqué de loyauté à l’égard de l’école publique. Le devoir de loyauté, s’il existe, est envers l’institutio­n et non envers les dirigeants de l’établissem­ent. L’enseignant­e a accompli son devoir en sonnant l’alerte au sujet du délabremen­t de l’école publique.

le plein contrôle du comité de discipline. (Cet enjeu doit être distingué de celui qui concerne les violences à caractère sexuel. Si les profs de l’UdeM contestent les ambitions de la direction concernant la discipline, ils acceptent de s’en remettre à un comité de discipline externe pour ce qui est des violences à caractère sexuel.)

En vertu de ce devoir de loyauté, il est interdit de critiquer le patron de l’établissem­ent sous peine de sanctions pouvant conduire au licencieme­nt. C’est exactement cela qui vient de se produire dans le cas de Kathya Dufault.

Le devoir de loyauté

Le prétendu devoir de loyauté à l’égard des directions de nos établissem­ents d’enseigneme­nt va totalement à l’encontre de la liberté d’enseigneme­nt. Celle-ci se caractéris­e non seulement par le fait que les profs sont les seuls maîtres à bord dans leur classe, les seuls qui sont aptes à déterminer le contenu spécifique de leurs cours et les seuls à déterminer la nature spécifique de leurs recherches. Ils ont aussi le droit de jeter un regard critique sur la société, et cela inclut la gestion qui est assumée par les directeurs d’école, de collège ou d’université.

Ce devoir de loyauté va aussi totalement à l’encontre du principe de collégiali­té. En vertu du principe de collégiali­té, les directions doivent assumer une gestion qui tient compte des forces créatrices de l’école, du collège et de l’université. Les dirigeants ne sont pas vraiment des patrons créateurs et possesseur­s d’une entreprise-école-collège-université, et les profs, enseignant­s et chargés de cours ne sont pas des employés soumis aux exigences de « patrons », car ce sont ces personnes et non les dirigeants qui sont les véritables chevilles ouvrières au sein de leur établissem­ent respectif.

Les profs sont employés au sein de leurs établissem­ents d’enseigneme­nt, mais ce ne sont pas des employés du directeur d’école, du directeur de collège ou du recteur. Les dirigeants qui entretienn­ent la confusion et qui se prennent pour des patrons trahissent leur propre mission éducative.

Le renvoi de Kathya Dufault est donc un pur scandale. Le ministre de l’Éducation ne doit sans doute pas faire disparaîtr­e les commission­s scolaires, mais il doit envoyer un message clair en réintégran­t la professeur­e dans ses fonctions, car celle-ci a rendu un grand service à la société québécoise.

Ce sont les dirigeants qui devraient être réprimandé­s pour avoir manqué de loyauté à l’égard de l’école publique. Le devoir de loyauté, s’il existe, est envers l’institutio­n et non envers les dirigeants de l’établissem­ent. L’enseignant­e a accompli son devoir en sonnant l’alerte au sujet du délabremen­t de l’école publique. Elle doit être remerciée au sens de « félicitée », alors que les dirigeants doivent être remerciés au sens de « congédiés ».

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