Décès du sculpteur et caricaturiste Raoul Hunter
En 1956, alors qu’il est professeur à l’École des beaux-arts de Québec, Raoul Hunter devient, contre toute attente, caricaturiste à temps plein. « Le directeur de l’École des beaux-arts, M. [Jean-Baptiste] Soucy, nous avait annoncé que Le Soleil se cherchait un caricaturiste. Le directeur nous avait demandé de diffuser cette annonce auprès de nos élèves.» Ce que Raoul Hunter s’empresse de faire. Mais personne ne semble intéressé. Hunter tente le diable et dépose sa candidature. « J’ai été engagé quinze jours plus tard. Cela a duré 33 ans. Tous les jours. »
Caricaturiste, Raoul Hunter a marqué le quotidien de générations de lecteurs à Québec. Son dessin, au sortir des années 1950, apparaît d’abord plutôt sage. Le style n’est pas d’emblée affirmé. Une ligne claire, un certain pointillisme aussi, du moins par moments, remarque Pierre Skilling, historien de la caricature.
Il débute sous le régime Duplessis. Mais le chef de l’Union nationale, il ne le dessinera pratiquement pas. Il s’en expliquera à Pierre Skilling, à l’occasion d’un entretien : « Dans le temps, le colonel [Joseph-Oscar] Gilbert était le propriétaire du journal. Il aspirait à être nommé au Sénat. […] Alors, il m’avait fait venir dans son bureau et puis il m’avait dit : “Pas de caricature contre la reine !” Je lui ai dit : “Je ne savais pas que la reine était abonnée au Soleil !” Ça a désamorcé un petit peu la bombe. […] Un peu plus tard, comme ça ne marchait pas à Ottawa, [Jospeh-Oscar Gilbert] s’est essayé du côté de Québec pour être conseiller législatif. Là, il m’avait dit : “Pas de caricature contre Duplessis !” C’est pour cela que j’en ai fait si peu sur Duplessis. Je pense qu’il y en a eu une ou deux au maximum. »
Avec le temps, son style se délie et prend ses aises. Dans les années 1970 et 1980, il assume la position singulière que confère le travail de caricaturiste dans un journal. Il ne se plie pas d’emblée aux sentiments dominants de son milieu. En octobre 1970, pendant la Loi des mesures de guerre, à la suite du décès du ministre Pierre Laporte, il représente un Charles de Gaulle qui, brisé dans l’élan de son retentissant « Vive le Québec libre » lancé depuis le balcon de l’hôtel de ville de Montréal, baisse les bras devant le passage du cercueil. Cette caricature suscite l’ire de nombre de ses collègues.
Sculpteur
Né en 1926 à Saint-Cyrille-de-Lessard, dans l’arrière-pays de la côte de L’Isletsur-Mer, Raoul Hunter a étudié à l’École des beaux-arts de Québec. Il s’y spécialise en sculpture, tout en recevant les enseignements de Jean-Paul Lemieux et Jean-Philippe Dallaire. Une bourse lui permet de se rendre à Paris, où il fréquente l’École nationale supérieure des beaux-arts. Il en revient avec en main un diplôme en histoire de l’art de l’École du Louvre.
Connu surtout du grand public comme caricaturiste, Raoul Hunter consacre pourtant une part importante de son énergie à la sculpture. Mais le temps manque pour tout faire. «Il a été un sculpteur de commande », explique son fils Denis Hunter au Devoir. « Il participait à des concours ou on l’approchait. Grâce au Soleil, mon père était à la radio, à la télévision. Il donnait des conférences. Il était très connu. Cela l’aidait pour la sculpture. »
Plusieurs monuments publics portent sa marque, à commencer par une statue de Samuel de Champlain installée sur la façade de l’Assemblée nationale du Québec (1967). À Ottawa, sur la colline du Parlement, on trouve un William Lyon Mackenzie King (1968) aux lignes douces et souples qui n’est pas sans faire songer au caricaturiste mexicain Miguel Covarrubias.
À Montréal, des milliers de personnes passent tous les jours, à la sortie du métro Berri-UQAM, devant sa représentation d’Émilie Gamelin (1999) coulée dans le bronze.
Il pratique aussi, à la façon d’un devancier comme Honoré Daumier, la sculpture sous forme de caricature. Devant ses dessins de presse, dont plus de 8000 ont été acquis par Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Pierre Skilling observe que « ses caricatures ont le relief de sculptures ».
D’autres de ses sculptures ne sont pas sans rappeler le travail d’un Henry Moore. Hunter a aussi réalisé des sculptures comme Iris (1967), une haute structure en aluminium qui évoque une figure organique. L’oeuvre est installée à La Ronde, à l’occasion de l’exposition universelle du maire Drapeau, dans un bassin entouré d’arbustes et de rocailles, avant d’être relocalisée.
Hunter réalise aussi de plus petits formats, dans ses ateliers personnels, à la ville et dans la campagne chérie de ses origines terriennes. Après le décès de René Lévesque, il réalisera un buste de l’ancien premier ministre, mais acceptera avec regret de le retoucher à l’insistance de sa veuve. Il s’en expliquera ainsi, après coup : « J’ai fait [la tête] en bronze du premier ministre René Lévesque et non pas le portrait du mari de Mme Côté-Lévesque […] Je ne fais pas des portraits améliorés… Je ne cherche qu’à rendre la quintessence, la vérité du sujet… Cette moue qu’il avait très souvent en public faisait partie du personnage. »
Hunter a aussi réalisé des affiches de théâtre, de l’art religieux, des bustes, des médailles, et des bas-reliefs. On trouve ses oeuvres en divers lieux, au Canada comme aux États-Unis, là où la plupart de ses bronzes ont été coulés.
En 2010, une exposition rétrospective de sa carrière a été présentée à Québec à la Maison Hamel-Bruneau. Cette année-là, son fils, Denis Hunter, lui avait consacré un livre, Le trait dans tous ses états : sculptures et caricatures de Raoul Hunter. « J’allais souvent le voir travailler quand j’étais petit », se rappelle son fils en entrevue au Devoir. « Il dessinait tout le temps, même s’il n’avait pas le temps : il a élevé cinq enfants en plus d’être tous les jours au Soleil. Mais il n’arrêtait jamais, dessinant même dans les marges des magazines qu’il lisait le soir. »
À Montréal, des milliers de personnes passent tous les jours, à la sortie du métro Berri-UQAM, devant sa représentation d’Émilie Gamelin (1999) coulée dans le bronze